Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

La solidarité pour fil rouge

couture à la machine à coudre
© Neil Labrador

Un atelier-boutique où se tissent des liens entre migrants et gens d'ici.

L’association «Amitiés à tisser» intègre professionnellement des migrants employés à la confection textile. Petit tour à l’atelier de couture

Voilà une initiative qui ne manque pas d’étoffe humaine. Une démarche faisant la part belle à la solidarité, le partage du savoir et la diversité. Créée l’an dernier, l’association «Amitiés à tisser» permet aujourd’hui à des réfugiés de mettre en pratique leurs connaissances en couture dans un petit atelier de confection textile, à Cully, dans le canton de Vaud. La porte poussée, on rencontre Riham, d’Erythrée, et Habibullah, originaire d’Afghanistan, tous deux penchés sur leur machine à coudre. Une troisième personne, elle aussi afghane, viendra l’après-midi. Travaillant sur le patron d’une robe, Anaëlle Chabannes, styliste-modéliste responsable de l’atelier-boutique, explique l’origine de cette aventure multiculturelle, tout en poursuivant sa tâche. Et sous l’œil paresseux de Lili, une chatte noire qui, étendue de tout son long sur le plan de travail, rétrécit élégamment son espace.

L’esprit zigzag

La trame du projet? Elle découle, explique en substance Anaëlle Chabannes, de sa difficulté à recruter de la main-d’œuvre alors que, paradoxalement, des réfugiés compétents dans le domaine ne rêvent que de faire leurs preuves. Elle est aussi en phase avec la sensibilité de la jeune femme de 33 ans, militante dans un Collectif de défense des exilés et soucieuse de commerce équitable. «J’avais l’outil, un besoin en personnel et surtout l’envie», précise la styliste. Restait alors plus qu’à réunir ces deux potentiels... De fil en aiguille, la responsable fonde avec deux autres bénévoles l’association «Amitiés à tisser». Ensemble, les partenaires ficèlent le projet motivé non seulement par un but professionnel et de valorisation de l’artisanat, mais aussi d’entraide et d’intégration. En février dernier, le cadre est posé. Et les militantes réfléchissent à différents moyens pour financer une première collection baptisée Zigzag. Un clin d’œil à un point de couture exécuté pour éviter à un tissu de s’effilocher, l’objectif étant justement de rassembler des personnes. «Nous avons opté pour un crowfounding, un financement participatif, via Internet, permettant de valoriser notre démarche tout en travaillant à la confection. Le résultat a dépassé nos espérances. Nous misions sur un montant de 15000 francs. Nous en avons récolté 22000 francs», poursuit Anaëlle Chabannes qui a en outre organisé des petites campagnes de retouches à prix baissés, pour attirer la clientèle.

Mélange d’influences

Le 30 juin dernier, 41 pièces portées par 23 mannequins volontaires ont été montrées lors d’un défilé à la Ferme des Tilleuls, à Renens. Une collection mâtinée des différentes origines de leurs auteurs. «Ils ont eu carte blanche. Les modèles présentés ont mélangé influences et traditions de leur pays et celles occidentales. Une approche très intéressante. Je souhaite poursuivre avec ce type de binômes», lance enthousiaste Anaëlle Chabannes, non sans souligner l’énergie mobilisée pour assurer le succès de l’événement qui a généré quelques commandes. «Nous avons fait un important travail de communication, invité toutes les personnes qui nous ont soutenus.» Employés à 40 %, les trois couturiers touchent un salaire conventionnel. Aujourd’hui, pour assurer la pérennité de l’entreprise, l’association cherche des subventions. Soucieuse de mettre toutes les chances professionnelles des bénéficiaires de leur côté, «Amitiés à tisser» leur propose encore des cours de français axés sur le monde du travail donnés par des bénévoles. Les exilés tiennent en outre un stand sur le marché du dimanche à Cully qu’ils gèrent en toute autonomie.

Cheveux blancs...

«Ce que m’apporte ce projet? Des cheveux blancs», rigole Anaëlle Chabannes non sans fustiger au passage les impératifs administratifs – «où rien n’est pensé pour simplifier la vie» – avant de temporiser. «C’est dans tous les cas une manière d’être cohérente avec mes idées. Une expérience très intéressante. Les réfugiés ont leurs propres mots pour qualifier des gestes du métier, leur propre usage des outils. Cet apport redynamise l’atelier...» explique la responsable. Qui insiste encore sur les échanges avec l’équipe et l’avantage d’une petite structure propre à faciliter la prise en compte de l’aspect psychologique, s’agissant de personnes au parcours traumatisant. «Comme artisane indépendante, je peux leur accorder davantage de temps», affirme la styliste à la fibre solidaire donnant aussi des cours de couture pour compléter ses revenus. Son entreprise se révèle-t-elle viable? «C’est un grand mot. Disons que je survis bien. Les gens, ici, jouent volontiers le jeu et valorisent les petits commerces.» Mais même si c’est un pari de tous les jours, Anaëlle Chabannes n’en rêverait pas moins d’élargir le projet-pilote à d’autres domaines comme ceux administratifs ou de la communication. «On pourrait intégrer d’autres corps de métier. Avec le but de créer un business solidaire et social modèle.»

 

Témoignages

Riham, Erythréenne, 44 ans: «Bien plus que des mots»

«Ces robes s’inspirent des coutumes de deux ethnies de mon pays. Comme, par exemple, du canton du Valais et l’autre de Vaud», image Riham en montrant fièrement ses créations, l’une aux motifs géométriques colorés, l’autre blanche. Mère de six enfants, la réfugiée ne manque pas d’expérience, elle qui travaillait déjà dans sa patrie comme styliste-modéliste. «J’ai étudié six ans à Asmara dans une école italienne. La méthode était identique à celle d’ici. J’ai obtenu mon diplôme en 2005», précise l’Erythréenne, autrefois propriétaire avec son mari d’une grande entreprise d’import-export de textiles. «Je créais des vêtements, costumes, du linge de maison. Je faisais également de la broderie. Le Gouvernement nous a tout pris. Mon époux a été emprisonné. Il est décédé. J’ai tout perdu», raconte Riham soulignant encore les dangers auxquels elle a été confrontée avant d’arriver en octobre 2011 dans nos frontières. «Ce projet m’aide beaucoup à m’intégrer. Je suis très contente. Pourvu qu’il dure», poursuit la quadragénaire qui a par ailleurs travaillé comme couturière bénévole à l’Eper, pour l’atelier «Femmes et migrations». Et rêve, à terme, d’une activité à 100%: «Je souhaite gagner ma vie, être autonome, les enfants ont grandi...» Dans l’intervalle, celle qui relève adorer le bleu, note encore, tout sourire: «Amitiés à tisser m’a tendu la main. Moralement aussi. On travaille ensemble. Le nom de l’association est bien plus que des mots.»

Habibullah, Afghan, 28 ans: «Ce projet m’aide beaucoup»

Si la couture est le plus souvent pratiquée par des femmes dans nos frontières, ce n’est pas le cas dans la patrie de Habibullah, arrivé en Suisse en 2015 de Kunduz, en Afghanistan. «Chez moi, beaucoup d’hommes travaillent dans ce domaine. J’ai appris le métier avec mon oncle, dans son atelier. Puis, je suis devenu indépendant. Je confectionnais surtout des vêtements pour des femmes, mais aussi du linge de maison, des rideaux, des couvre-lits, etc.» Des méthodes différentes de celles suisses? «Pas vraiment. Il s’agit toujours de couture. Mais, ici, les tissus coûtent plus cher. Quant à l’influence de mes origines dans mes créations actuelles, elle s’exprime surtout dans les décorations à travers l’usage, par exemple, de rubans», relève Habibullah qui travaille également à 35% dans un autre atelier à Lausanne où il s’occupe alors uniquement des retouches. «Le projet Amitiés à tisser m’aide beaucoup. J’espère qu’il continuera», poursuit le bénéficiaire qui rêverait, à terme, d’avoir son propre commerce et des employés. «Mais ce n’est pas simple», note le jeune homme mentionnant, parmi les plus grosses difficultés rencontrées en Suisse, l’administration. «En Afghanistan, on a davantage de liberté à ce niveau-là. Ici, il y a beaucoup de papiers. J’ai quatre classeurs chez moi. Compliqué de comprendre comment ça marche. Heureusement que ma mère adoptive m’aide», relève encore le jeune homme avant de montrer une robe mi-longue, manches courtes, de sa confection. «Mais, pour ma femme, je lui préfèrerai un manteau, plus proche de ma culture.»

 

Facebook: Amitiés à tisser

Boutique et atelier de couture, rue du Temple 25, Cully. Ouverture le lundi, mardi, jeudi et vendredi, de 10h à 12h et de 14h à 18h30.

Pour aller plus loin

La cohésion sociale en ligne de mire

La déléguée à l'intégration du du district de Conthey, en Valais et une bénéficiaire des prestations.

Déléguée régionale à l’intégration du district de Conthey, en Valais, Bénédicte Seifert s’exprime sur son travail. Un métier-passion aux multiples enjeux. Entretien.

Unia Genève porte haut et fort l’initiative «Une vie ici, une voix ici»

La présidente d’Unia, Vania Alleva, a distribué des tracts sur la place du Molard avec un groupe de syndicalistes.

Le syndicat s'engage à fond en faveur du droit de vote et d’éligibilité dès huit ans de résidence, comme le propose le texte soumis au vote le 9 juin

Pan de voile levé sur la procédure d’asile

Image du film

Dans «L’Audition», son premier long métrage largement primé, la cinéaste Lisa Gerig retrace cette séance décisive où se joue le sort de requérants d’asile. Remuant

«Sans espoir, sans avenir, beaucoup de femmes se suicident…»

Féministe et militante afghane, Maleka Azizi a dû fuir son pays sous le joug des talibans.

Réfugiée en Suisse, la militante afghane Maleka Azizi témoigne des changements brutaux survenus dans son pays sous le régime afghan et de l’apartheid de genre qui frappe ses consœurs