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La Suisse pourrait être condamnée par Strasbourg

La protection contre les licenciements ne respecte ni les normes de l'OIT ni la Convention des droits de l'homme

Selon une étude de l'Université de Neuchâtel, le droit suisse ne remplit ni les exigences de l'Organisation internationale du travail (OIT) ni celles de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de protection contre les licenciements. L'Union syndicale suisse en profite pour réitérer sa demande d'une révision du Code des obligations qui inclurait la possibilité de réintégrer dans l'entreprise les salariés abusivement congédiés.

En Suisse, la protection contre les licenciements n'est pas conforme au droit international. Et, pour une fois, ce ne sont pas des syndicalistes qui l'affirment, mais une étude de l'Université de Neuchâtel. Face à la multiplication des cas de licenciement de représentants du personnel, l'Union syndicale suisse (USS) avait réactivé en 2012 une plainte déposée dix ans plus tôt auprès de l'Organisation internationale du travail (OIT). Peu après, à la suite du licenciement des grévistes de l'hôpital neuchâtelois de la Providence, une seconde procédure avait été introduite par le Syndicat des services publics auprès de l'institution basée à Genève. Ces deux plaintes avaient poussé le Secrétariat d'Etat à l'économie et l'Office fédéral de la justice à mandater le Centre d'étude des relations de travail de l'Université de Neuchâtel pour analyser la conformité du droit suisse avec le droit international. Les auteurs de l'étude, qui a été présentée fin septembre aux autorités fédérales, jugent que «le régime de protection existant en droit suisse paraît ne pas être conforme aux engagements internationaux de notre pays». En plus de contrevenir aux exigences de l'OIT, les licenciements antisyndicaux violent aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sise à Strasbourg, ce qui «risque d'aboutir à moyen terme à une condamnation de la Suisse».

La réintégration, seule solution
«Nous sommes très satisfaits du constat de l'Université de Neuchâtel, même si l'étude ne fait que confirmer ce que nous savions déjà et ce que l'OIT déplore depuis plus de 10 ans. Le rapport va même plus loin puisqu'il admet que notre Code des obligations (CO) ne respecte pas la Convention européenne des droits de l'homme sur la protection des représentants du personnel», réagit Luca Cirigliano, secrétaire central de l'USS et responsable du dossier. «Jusqu'ici les patrons prétendaient être en règle et ne voulaient rien changer. Nous verrons dans quelques semaines, à l'occasion d'une commission fédérale tripartite, dans quelle direction ils vont se diriger, mais compte tenu du résultat net de l'étude, le Conseil fédéral et le Parlement doivent enfin agir et adapter le CO au droit international.» L'USS exige que la révision du CO inclue la possibilité d'annuler le congé et de réintégrer dans l'entreprise le travailleur abusivement congédié, comme c'est le cas dans nombre de pays européens. Le syndicaliste en est persuadé: «Seule la réintégration représente une sanction efficace et dissuasive pour l'employeur qui foule aux pieds la démocratie et le partenariat social en procédant à des licenciements antisyndicaux. On ne rachète pas des violations de droits fondamentaux avec l'équivalent de quelques mois de salaire!»
La réintégration constitue une «option à prendre en considération», concluent prudemment, de leur côté, les auteurs de l'étude, qui, au vu de «l'absence de consensus politique» sur ce point, préconisent «d'explorer d'autres pistes», comme de faire passer l'indemnité maximale en cas de congé de six à douze mois de salaire. «Cela permettrait certainement d'augmenter la fonction dissuasive et par voie de conséquence d'améliorer la protection contre les licenciements», écrivent les juristes. «Ce n'est pas à des professeurs et des docteurs en droit de cerner un consensus politique ni de le mettre en avant, ce n'est pas la tâche qui leur a été confiée», commente pour sa part Luca Cirigliano.

Révision au plus tôt en 2017
D'ici à l'automne 2016, le Centre d'étude des relations de travail publiera un second rapport, consacré spécifiquement à la protection contre les licenciements pour fait de grève et dont les conclusions devraient être comparables, selon Luca Cirigliano. Il coulera donc encore beaucoup d'eau sous les ponts avant que le Conseil fédéral, après consultation des partenaires sociaux, ne présente au Parlement une modification du CO. «Une révision est envisageable au plus tôt en 2017 et ce serait une très bonne nouvelle qu'elle prévoie la réintégration», explique le secrétaire de l'USS. «Si rien ne change, nous nous adresserons directement à la CEDH. Les travailleurs pourront aussi s'y pourvoir à titre privé et obtenir des indemnités de la Suisse comme c'est le cas pour les victimes de l'amiante.» Présenté lors de son dernier congrès par la Communauté genevoise d'action syndicale, l'USS garde aussi sous le coude un projet d'initiative fédérale visant à protéger les salariés des licenciements collectifs et antisyndicaux.

Jérôme Béguin

L'USS organise le 13 novembre à Berne un colloque juridique bilingue (français/allemand) sur les exigences du droit international dans le droit suisse, qui abordera en particulier la protection contre les licenciements abusifs. Infos et inscription sur www.uss.ch