Lanceurs d’alerte: une loi qui empire la situation!
Le Parlement discute d’un projet de révision dont l’objectif de protection des salariés a été évacué. S’il est accepté, les risques pour ces derniers seraient accrus. La Commission des affaires juridiques du National vient de rejeter le projet
Une loi destinée à protéger les travailleurs qui se transforme en son contraire? C’est ce qui se passe avec le projet du Conseil fédéral sur la protection des lanceurs d’alerte. Un projet qui a tardé à voir le jour, alors qu’il y a 17 ans déjà, des motions étaient déposées au Parlement à ce sujet, dans le but de protéger les salariés licenciés ou subissant des représailles pour avoir dénoncé des cas de corruption, de fraude ou d’autres irrégularités au sein de leur entreprise. Des situations conduisant les lanceurs d’alerte licenciés voulant faire reconnaître leur démarche et obtenir justice sur une route longue et tortueuse, comme en témoigne le parcours de Yasmine Motarjemi, congédiée par Nestlé après avoir mis en lumière des problèmes de sécurité alimentaire (voir L’ES du 22 et du 29 janvier 2020).
Vendredi passé, la Commission des affaires juridiques du Conseil national s’est penchée sur le projet du Conseil fédéral, vivement contesté par l’Union syndicale suisse (USS). En juin 2019, le Conseil national avait pourtant, pour la deuxième fois, décidé de ne pas entrer en matière. C’était compter sans le Conseil des Etats qui, le 16 décembre dernier, acceptait de donner suite à la modification du Code des obligations proposée par le gouvernement. Le projet, intitulé «Protection en cas de signalement d’irrégularités par le travailleur», revient donc devant la Chambre basse qui devra en discuter lors d’une prochaine session.
Une victoire d’étape vient d’être franchie pour la faîtière syndicale: la Commission des affaires juridiques a résisté aux pressions des associations patronales et recommande aux élus le rejet de cette révision. Une situation qui réjouit Luca Cirigliano, juriste et secrétaire central de l’USS: «En raison des mises en garde de l’USS, d’avocats, ainsi que de l’Organisation internationale du travail et d’associations de lanceurs d’alerte, la Commission a rejeté à juste titre le projet. Un nouveau départ est désormais nécessaire.»
Un piège pour les salariés
Pourquoi l’USS insiste et appelle le Conseil national à ne pas donner suite à cette révision? La loi manque son but et, surtout, va se retourner contre les travailleurs, prévient la centrale syndicale. «Il vaut mieux pas de révision du tout que cette pseudo-solution», souligne Luca Cirigliano. Pour le spécialiste, il y a d’abord un problème de cohérence juridique: «Ce projet est un corps étranger dans notre Code des obligations. Ce sont des dispositions très techniques et compliquées, que même des juristes expérimentés peinent à comprendre. Même l’administration a dû faire un graphique pour expliquer le système hypercomplexe de succession de déclarations prévue pour une personne souhaitant dénoncer une irrégularité.» Un système incompréhensible pour un travailleur qui n’aura d’autre choix, s’il veut agir, que de se tourner vers un avocat, à ses frais bien sûr. La procédure prévoit une sorte de cascade qui débute par l’alerte au sein de sa propre entreprise, puis des autorités, pour se terminer éventuellement, après avoir respecté de très nombreuses conditions, dans les médias.
Et ce n’est pas tout. Juridiquement, ce système censé donner aux lanceurs d’alerte la possibilité de dévoiler des faits, se retrouve dans la partie du Code des obligations consacrée au devoir de fidélité du travailleur vis-à-vis de son employeur! Et non dans la partie visant à la protection contre les licenciements. «Avec ce changement de loi, une personne qui dénoncerait des faits les plus graves pourrait être licenciée avec effet immédiat si elle commet une erreur dans la procédure! Si elle respecte entièrement cette procédure, elle pourra aussi être licenciée. La protection contre les congés a complètement été évacuée du projet. De ce fait, il n’en coûtera que quelques milliers de francs à un employeur souhaitant se débarrasser d’un lanceur d’alerte», s’indigne Luca Cirigliano, qui rappelle qu’à l’heure actuelle, la seule sanction pour un licenciement abusif est, pour le patron, de verser une indemnité d’au maximum six mois de salaire, mais qui est plutôt de l’ordre de deux à trois mois.
«La dénonciation prévue dans ce projet devient un piège pour les lanceurs d’alerte. Les risques encourus par les salariés qui s’engagent pour l’intérêt public ou celui de leurs collègues de travail sont encore plus élevés avec ce nouveau dispositif légal que ceux qui existent aujourd’hui. Au lieu d’améliorer la situation des lanceurs d’alerte, elle ne fait que l’empirer», dénonce le syndicaliste qui invite les conseillers nationaux à enterrer cette révision.