Le goût amer du chocolat
Plus de 1,5 million d’enfants au Ghana et en Côte d’Ivoire courbent l’échine dans les plantations de cacao de ces deux pays principaux exportateurs. Leurs conditions de labeur sont particulièrement difficiles et dangereuses, notamment lors de l’épandage de pesticides. En 2001 pourtant, plusieurs entreprises, dont Nestlé, signaient le protocole Harkin-Engel. Elles s’engageaient ainsi, sous la pression publique, à éliminer le travail des enfants. Vingt ans plus tard, ce dernier est en augmentation selon une enquête menée par un centre de recherche de l’Université de Chicago (NORC). Preuve que les mesures volontaires ne fonctionnent pas, dénonce l’ONG Public Eye, qui soutient l’initiative fédérale pour des multinationales responsables. La Suisse a un rôle important à jouer, pas seulement parce que son chocolat est un symbole touristique fort, mais aussi parce qu’elle représente l’une des principales places du négoce international du cacao.
Alors que la demande en chocolat croît de 2% à 5% chaque année (plus de 3 millions de tonnes sont consommées annuellement sur la planète, dont 60% en Europe), le prix du marché de la fève est trop bas (environ 2000 dollars la tonne). Conséquences: les cultivateurs ne touchent qu’un seul dollar par jour pour leur dur labeur. Ce revenu, sous le seuil de l’extrême pauvreté, n’offre pas d’autre choix aux familles de paysans que de faire appel aux bras de leurs enfants. Selon l’Organisation internationale du cacao, seuls 3,3% du prix de la plaque de chocolat reviendraient ainsi aux agriculteurs. Pour Public Eye, relayée par Le Courrier, les cacaoculteurs devraient toucher au moins 3000 dollars par tonne pour pouvoir s’en sortir financièrement. A l’autre bout de la chaîne, l’industrie alimentaire savoure sa croissance. Pour exemple, en 2019, le bénéfice net de Nestlé a atteint 12,9 milliards de francs, ce qui a permis à la multinationale de rémunérer davantage… ses actionnaires.
L’impact de l’exploitation du cacao (dont les trois quarts de la production mondiale viennent d’Afrique de l’Ouest) est non seulement néfaste aux enfants, mais aussi à l’environnement. La forte demande de l’industrie chocolatière entraîne dans les pays producteurs une déforestation intense, même dans des réserves naturelles protégées. Près de 14000 hectares de forêt ont ainsi disparu au Ghana et en Côte d’Ivoire en 2018 au profit de la monoculture du cacao, soit l’équivalent de 15000 terrains de football, selon l’ONG Mighty Earth, relayée par le National Geographic. Pour l’organisation écologiste, ce déboisement démesuré, s’il continue à ce rythme, créera des chamboulements climatiques catastrophiques, notamment au niveau de la pluviométrie, sans compter les émissions de CO2. Et comme tout est lié, de nombreuses espèces disparaissent en même temps que leur habitat, dont les éléphants, les chimpanzés et les pangolins… Le problème nous concerne tous, car, s’il fallait encore le rappeler, l’émergence des zoonoses, dont le Covid-19, est intrinsèquement liée à la destruction de l’environnement et à la perte de la biodiversité. La crise sanitaire actuelle est ainsi inséparable de la crise écologique.