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Le mouvement au cœur de l’imaginaire

Artiste
© Olivier Vogelsang

Singulier face à face avec Jean Calvin, un personnage qui fascine l’artisan.

Créateur de marionnettes, l’artisan genevois Pierre Monnerat pratique son métier avec un émerveillement constamment renouvelé. En remontant le fil de sa passion...

Le plaisir de la sculpture et du bricolage. L’émotion du mouvement. La variété des défis à relever. Autant de raisons qui expliquent la passion qu’éprouve Pierre Monnerat pour son métier. «Je suis touché de voir mes personnages prendre vie, bouger», note le constructeur de marionnettes, toujours aussi émerveillé par son travail malgré des décennies d’activité. Dans son petit atelier genevois, assis à l’établi, l’artisan de 60 ans se concentre sur une nouvelle commande. Un mandat un peu spécial puisqu’il s’agit de créer la tête d’un homme sans corps, qui sera actionnée à bout de bras. «Il doit avoir l’air séduisant tout en incarnant un mauvais garçon. La demande émane d’une troupe féministe queer française pour un spectacle sur le viol», précise le constructeur, lunettes rondes lui donnant un petit air docte, tout en finalisant les boucles de cheveux du bellâtre. «Il est en Sagex polystyrène. J’aime mieux travailler le bois. Un matériau qui a bien plus de charme. Mais tout dépend du budget des clients», ajoute le passionné, qui réalise des figurines articulées dans différentes matières – en bois de tilleul, en tissu, en papier, en plastique… – en fonction des coûts et des impératifs des spectacles.

Calvin ou la sœur de Cendrillon...

«Mes marionnettes préférées, indépendamment du matériau utilisé, sont celles à fils. Ces dernières tendent, hélas, à disparaître au profit de marionnettes de table, moins compliquées dans leur maniement. Les comédiens les choisissent davantage», ajoute Pierre Monnerat, présentant quelques-uns de ses prototypes favoris, postés en sentinelles à l’entrée de l’atelier. Parmi eux, l’austère Jean Calvin, robe pastorale et barbe sévère taillée en pointe, plus vrai que nature. Un personnage qui fascine son constructeur. «J’ai été séduit par ses traits, son physique particulier, son costume. Je m’intéresse aussi à l’époque à laquelle il a vécu. Et puis, les êtres un peu durs, les méchants, les sales gueules comme un Hitler ou un Mussolini, sont bien plus intéressants à réaliser.» Le fabriquant actionne aussi une sœur de Cendrillon à l’allure de pimbêche arborant une robe confectionnée avec une serpillère frangée, un pantin tout en ficelle et en souplesse, ou encore un bruyant robot construit avec de la vaisselle en fer… Autant d’exemples d’éléments de l’univers poétique et fantaisiste des marionnettes qui présentent l’avantage, lors de pièces abordant des sujets graves, d’une certaine mise à distance. «Elles sont souvent utilisées dans les spectacles traitant de thèmes durs car, irréelles, elles ôtent de la pesanteur aux propos.»

Des contraintes au service de la magie

Si Pierre Monnerat est attaché à un savoir-faire acquis en autodidacte et après une formation en arts décoratifs et visuels à Genève, il n’en demeure pas moins ouvert aux nouvelles technologies. Trônant aux côtés d’une scie à ruban, d’une machine à souder, d’une ponceuse... et de toute une gamme d’outils d’ébénisterie et de sculpture, une imprimante 3D. Qu’il utilise pour les parties les moins valorisantes de son art ou la création de mécanismes cachés dans ses pantins. «Elle remplace les moulages», précise-t-il. Le constructeur se sert également d’un ordinateur pour la réalisation de dessins. Et l’indépendant de montrer sur son écran la bobine en trois dimensions, créée pour incarner un soldat de la Seconde Guerre mondiale, et de la modifier, amusé, à son gré. Ces instruments simplifient la démarche de Pierre Monnerat et lui permettent de dégager davantage de temps pour ce qu’il aime vraiment faire: découper le bois, sculpter, souder, coudre, etc. Mais aussi réfléchir à la manière dont il devra résoudre certains problèmes techniques de gravitation et d’articulations nécessitant des notions d’anatomie. Il devra peut-être également penser au matériau le plus adapté pour l’usage spécifique d’un de ses modèles. «Je suis par exemple en train de concevoir une marionnette à main, en l’occurrence un hibou, destinée à un clown intervenant auprès d’enfants malades. Je dois m’assurer qu’il soit esthétique mais aussi lavable en machine à laver.» Autant de contraintes qui, maîtrisées, contribueront à la magie des représentations.

Pessimiste joyeux

A côté des commandes, Pierre Monnerat se consacre encore à ses propres créations où le réalisme l’emporte alors sur la fantaisie, davantage demandée. Les oiseaux, notamment, le passionnent. En témoignent un geai en bois et plastique qui, actionné, parade sur le sol, bec picoreur, ou encore un fou de Bassan, déployant ses ailes. «Les qualités requises pour exercer ce métier? De la curiosité, de la patience, un savoir-faire manuel et, bien sûr, de l’imagination.» Fin observateur, pragmatique et ouvert au questionnement, l’artisan solitaire, «un rien asocial mais pas trop», se définit par ailleurs comme un pessimiste joyeux ou un optimiste triste. Et souligne avoir toujours été «habité» par les marionnettes. «Gamin, je me servais de mes pyjamas en éponge pour créer des répliques du Muppet Show ou des personnages de contes. Plutôt que de jouer avec ces figurines, j’aimais surtout l’idée d’inventer quelque chose. J’ai créé ma première marionnette à fils avec une sorte de pâte durcissant au four», raconte le sexagénaire qui, s’il n’a pas eu d’enfants, précise avoir fabriqué au cours de son parcours professionnel, des centaines de marionnettes. «Mais je ne les confonds pas. Ce sont des objets», sourit l’artisan. Des figurines qui néanmoins, grâce à ses doigts habiles, feront illusion le temps d’un spectacle, dotées d’un souffle de vie insufflé par sa passion...