Après trois ans de débats au Parlement, l’initiative pour des multinationales responsables sera soumise à votation
Jeudi dernier, la conférence de conciliation entre les deux Chambres fédérales a conclu à l’adoption du contre-projet du Conseil des Etat. «Un contre-projet alibi», dénonce pourtant, depuis des mois déjà, le comité d’initiative pour des multinationales responsables. Au lieu de répondre de leurs actes en cas de violations des droits humains et environnementaux, les firmes internationales, telles que Glencore, Syngenta ou encore LafargeHolcim, pour n’en citer que quelques-unes, ne devraient publier qu’une fois par an un rapport annuel sur leur politique dans le domaine des droits humains (si elles en ont une!) et ne seraient soumises à un devoir de diligence qu’en matière de travail des enfants et d’extraction de minerais.
Dick Marty, coprésident du comité d’initiative, commente, dans un communiqué: «Le contre-projet alibi est inefficace. Nous savons tous que ce sont justement les grandes multinationales les moins scrupuleuses qui publient d’autant plus volontiers de telles brochures. Ces dernières n’auront des pratiques d’affaires responsables que si les violations des droits humains portent à conséquence et qu’elles doivent répondre de leurs actes.»
Pression des lobbies
«La conférence de conciliation n’a abouti à rien. Le Conseil des Etats a imposé sa proposition alibi déjà rejetée trois fois par le Conseil national», souligne Chantal Peyer, cheffe d'équipe entreprises et droits humains à Pain pour le prochain. Restait une incertitude au moment du bouclage du journal lundi: la Chambre basse allait-elle suivre finalement le contre-projet indirect du Conseil des Etats (qui ne sera donc pas soumis au vote citoyen) et ainsi permettre sa mise en œuvre avant la votation sur l’initiative? «J’ai rarement vu une pression aussi phénoménale des lobbies économiques. Ça démontre à quel point ils tirent les ficelles. Pour nous, les initiants, c’est une occasion manquée de la part du Parlement qui ne saisit pas les changements profonds en cours dans la société, déplore Chantal Peyer, Mais maintenant, nous nous réjouissons de partir en campagne.»
Pour rappel, plus de 120 organisations de la société civile, parmi lesquelles Unia et l’USS, soutiennent l'initiative pour des multinationales responsables déposée en octobre 2016 avec plus de 120000 signatures. Celle-ci vise à obliger les sociétés ayant leur siège en Suisse à respecter les droits humains et l’environnement et donc à répondre des violations causées par leurs filiales à l’étranger devant les tribunaux. Elle permet ainsi aux victimes de porter plainte en Suisse. Les initiants étaient pourtant prêts à retirer leur texte au profit du contre-projet du Conseil national, afin de permettre une application plus rapide. Un compromis soutenu également par la Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique, de larges pans de l’économie comme Coop et Migros, ainsi que par la Fédération des industries alimentaires (Fial). Cette proposition impliquait que seules les plus grandes firmes soient affectées, limitait leur responsabilité à leur filiale juridique directe et demandait une procédure de conciliation obligatoire entre les parties avant un procès.
Violations des droits humains
Reste qu’au fil du temps, l’initiative initiale reçoit un soutien de plus en plus large. L’ancien président du Conseil national, le PDC Dominique de Buman, a rejoint le comité bourgeois (comptant près de 200 élus) pour des multinationales responsables. Il indique dans le communiqué susmentionné: «Comme de nombreux parlementaires PDC, j’ai plaidé pour un compromis. Celui-ci a échoué. Maintenant, je m’engage en faveur de l’initiative pour des multinationales responsables. Il est évident que des règles contraignantes sont nécessaires pour toutes les multinationales ayant leur siège en Suisse. C’est la seule façon de les inciter à se comporter toutes de manière responsable et à ne pas profiter de la Suisse pour leurs pratiques peu reluisantes.»
Chantal Peyer souligne: «Si on enquête par exemple dans les filiales de Glencore, Syngenta, Nestlé, Trafigura, LafargeHolcim ou encore dans les quatre des sept plus grandes fonderies d’or du monde dont les sièges sont en Suisse, il y a presque à chaque fois des violations des droits humains et environnementaux…» Et la spécialiste d’ajouter: «Un sondage d’opinion mené début mai, en pleine crise du Covid-19, montre que 78% des personnes interrogées soutiennent l’initiative. Soit 12 points de plus que l’année passée. Au niveau de l’Union européenne, cela bouge aussi rapidement avec un projet de loi similaire qui sera mis en consultation en 2021, c’est-à-dire en même temps qu’en Suisse si nous gagnons la votation.»