Le Tribunal fédéral donne le feu vert au dumping salarial
Les grévistes de l’Hôpital de la Providence licenciés en 2013 sont déboutés. Pour leur défenseur, le droit de grève est «annihilé»
Le Tribunal fédéral (TF) vient de débouter les grévistes licenciés de l’Hôpital de la Providence. Les juges de Mon-Repos estiment que la grève qui s’est tenue dans l’établissement neuchâtelois entre fin 2012 et début 2013 était «illicite» et que le licenciement de 22 grévistes était prononcé pour de «justes motifs». Pour la Haute Cour, qui donne raison aux tribunaux neuchâtelois, les employés avaient reçu des «garanties importantes» sur la «prolongation de la CCT» Santé21 dans le contexte de la reprise par le Swiss Medical Network (SMN – ex-groupe Genolier); les syndicats avaient pourtant «refusé de négocier une nouvelle CCT»; la grève était donc «prématurée et contraire à l’obligation de préserver la paix du travail».
«L’employeur refusait catégoriquement de maintenir la CCT, il s’est contenté de proposer de conserver les conditions de travail prévues par celle-ci pour le restant de l’année 2013. Et encore, pas pour les nouveaux engagés, conteste Me Christian Dandrès, l’avocat des grévistes. Le TF dit que cette proposition était suffisante: la justice entre donc, pour la première fois, dans un examen matériel et arbitre le conflit en faveur de l’employeur. Ce n’est pourtant pas le rôle d’un juge d’apprécier les revendications des parties à un conflit collectif de travail. Et s’il devait le faire, il s’agirait de s’interroger notamment sur l’objectif de l’employeur et sa situation financière.»
Une folie
Pour l’avocat genevois, cet arrêt du TF «annihile le droit de grève» et donne un «blanc-seing au dumping salarial». «Comment créer un tel rapport indispensable pour préserver les intérêts des travailleurs et comment obtenir une bonne CCT, si les travailleurs sont privés de moyens de pression sérieux pour appuyer leurs revendications? Avec cet arrêt, les employeurs pourront très facilement à l’avenir casser les CCT qui ne leur plaisent pas et imposer de manière unilatérale leurs conditions. Et si les travailleurs se mettent en grève pour tenter de sauvegarder leurs intérêts, ils pourront les congédier avec l’aval des tribunaux. C’est une folie! Cet arrêt est d’autant plus choquant que cette grève était défensive et visait le maintien des conditions de travail et d’emploi. Les grévistes voulaient préserver une CCT de secteur qui protégeait la quasi-totalité des salariés des soins à Neuchâtel. On imagine ce qui se passera lors d’une grève destinée à améliorer une CCT ou pour tenter d’en obtenir une…»
Ce jugement posera selon MeDandrès un problème très concret aux syndicats: «Ils auront beaucoup de difficultés désormais à dire si le déclenchement d’une grève ou son maintien est légal. En suivant le raisonnement du TF, il suffira à l’employeur de prolonger de quelques mois les conditions de la CCT en vigueur pour que la grève soit impossible ou doive cesser. Et avec quel délai? Six mois? Trois mois? L’arrêt ne le dit pas.»
Sans grève, la mendicité
Député socialiste au Grand Conseil genevois, MeDandrès estime encore que ce verdict ne respecte pas les règles de démocratie. «Le droit de grève est garanti par la Constitution, qui a été acceptée en votation populaire. Une poignée de juges, même fédéraux, ne peuvent pas de factole supprimer ou en restreindre la portée sans passer par un débat politique au Parlement, sanctionné par une votation.»
«Le mouvement syndical devrait placer au cœur de ses revendications l’effectivité du droit de grève», conclut ce militant du syndicat des services publics (SSP): «Sans un tel droit, la négociation collective se résumera à de la mendicité organisée. A l’heure où le dumping se généralise et où les salaires réels diminuent, cet arrêt achève par ailleurs de rendre les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes quasiment inopérantes.»
Les grévistes de la Providence devaient décider cette semaine s’ils portent cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Après la grève de 2013, le SSP avait déposé une plainte contre la Suisse auprès de l’Organisation internationale du travail, qui est toujours en cours d’examen. Le TF doit encore se prononcer sur une plainte pour violation de domicile et diffamation déposée par SMN à l’encontre de quatre syndicalistes.