Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

«Les rêveurs sont ceux qui prêchent la croissance»

Des participants lisent allongés dans un pré.
© Olivier Vogelsang

Plusieurs milliers d’anarchistes ont convergé la semaine passée vers Saint-Imier à l’occasion du 150e anniversaire de la première Internationale antiautoritaire. Rencontres

Effervescence la semaine dernière à Saint-Imier qui a réuni, du 19 au 23 juillet, plusieurs milliers d’anarchistes venus des quatre coins de l’Europe et d’ailleurs. Une rencontre organisée pour célébrer le 150e anniversaire de la fondation, en 1872, de l’Internationale antiautoritaire, décalé d’une année en raison de la pandémie. Au menu de l’événement, figuraient des centaines d’ateliers, des pièces de théâtre, des concerts, des projections de films ou encore des expositions. Et, en marge, une organisation horizontale assurée par de nombreux volontaires s’activant aux cuisines, à une foire du livre, dans les espaces d’accueil et d’information, au camping... Festive, contestataire et studieuse, la manifestation a été rythmée par les débats d’idées et le plaisir des échanges.

Participants.
© Olivier Vogelsang

 

Quête de sens

«C’est important pour moi de participer à ces journées, de pouvoir exprimer mon désaccord avec ce monde.» Rencontrée à la fin de l’atelier «Quelles alternatives au capitalisme?», un sujet proposé par le mouvement auquel elle appartient*, Caroline Meijers sort requinquée de l’exercice. «Une centaine de personnes étaient présentes. Encourageant», lance cette Suissesse d’origine néerlandaise de 59 ans luttant depuis toute jeune contre le système néolibéral. Un engagement hérité de ses parents qui, précise-t-elle, ont créé les Magasins du monde et soutenu le front sandiniste au Nicaragua. «A l’adolescence, je trouvais les divertissements existants terriblement ennuyeux. J’étais déjà en quête de sens. Et ébranlée de savoir combien d’êtres humains mouraient de faim par minute. Ma famille s’intéressait à la planète entière, pas seulement à son pré carré.» Sensibilisée aux injustices, la jeune femme d’alors va faire sien ce combat. A 17 ans, elle rejoint une coopérative agricole et autogérée Longo Maï en France. Et consacrera 25 ans de sa vie à ce projet alternatif, dans l’Hexagone et en Suisse. Si cette mère de deux grands enfants et grand-mère émet quelques critiques par rapport à la démarche, elle y reste attachée. Et vit aujourd’hui à Undervelier, toujours proche d’une ferme appartenant à cette mouvance. Désormais, Caroline Meijers, habite une maison en gouvernance partagée avec des amis et croit à la réalité d’alternatives au capitalisme à grande échelle. Pour preuve, elle prend l’Histoire à témoin, mentionnant la Révolution française et ses bouleversements politiques et sociaux: «Personne n’aurait misé à l’époque sur l’abolition du féodalisme et les acquis gagnés par la suite.»

Participants.
© Olivier Vogelsang

 

Travail destructeur

Le changement est pour elle «non seulement possible mais obligatoire». «La Terre crame. Mais il faut que nous nous confrontions ici encore plus violemment à des épisodes climatiques extrêmes pour agir», estime la passionaria, tout en fustigeant «une gauche faible, PS en tête». «Un parti qui ne propose rien d’autre qu’un capitalisme à visage humain et porte une grande responsabilité dans la montée de l’extrême droite, comme en Grèce.» Ses solutions? «Il faut abolir la propriété privée des moyens de production et générer une société autogérée, qui s’appuie sur la base, pour instaurer une démocratie économique.» Les moyens, pour Caroline Meijers, passent par la désobéissance civile, les grèves et les occupations, et la diffusion des idées. «Nous devons mettre en place un véritable contre-pouvoir», ajoute la militante, tout en bannissant la violence, jugée contre-productive, comme stratégie. Questionnée sur la valeur qu’elle accorde au travail, la quinquagénaire, qui dépend de l’aide sociale, fustige les dérives liées à l’activité professionnelle, entre stress, production à moindre coût, maximalisation des profits. «Le travail détruit des métiers et des gens. Je suis pour le revenu universel de base afin qu’on puisse dégager du temps pour lire, élever ses enfants...» note celle qui effectue aujourd’hui un master en philosophie et histoire à l’Université de Bâle. La sonnerie de son portable interrompt la conversation. Un modèle antédiluvien qui ne sert qu’à téléphoner...

Affiche "System change, not climate change".
© Olivier Vogelsang

 

Responsabilité d’agir

«Je reçois beaucoup d’appels», s’excuse Caroline Meijers, expliquant que, très active dans le mouvement des sans-papiers, elle est largement sollicitée. Et l’activiste de dénoncer au passage les politiques européennes qui ont confié à la Libye et à la Croatie la mission de chiens de garde pour retenir les migrants, et les drames en découlant. Volubile, poussant même la chansonnette pour illustrer des propos anarchistes, la militante réfute l’idée d’être une douce rêveuse. «Je suis réaliste. Ceux qui rêvent sont les personnes qui prêchent la croissance. Je ne crois en rien. J’ignore si on y arrivera. Mais il est de ma responsabilité d’agir.» Quant à savoir si elle ressent parfois du découragement, l’anarchiste répond, sourire aux lèvres tout en ajustant son large chapeau. «Ma coquetterie constitue une soupape. J’ai un look de bourgeoise. C’est mon plaisir», conclut celle qui s’épanouit grâce à ses lectures, dans l’amour libre, l’amitié, l’entraide et le jardinage.

Participants.
© Olivier Vogelsang

*Plus d’infos sur: postcapitalisme.ch

Découvrir les luttes des autres

Ils sont venus du Pays basque. De Bayonne précisément. Claude, 63 ans, et Jean-Claude, 62 ans, se trouvaient déjà à Saint-Imier en 2012, pour le 140e anniversaire. Eléonore, 34 ans, participe pour la première fois à la rencontre. T-shirt sombre imprimé d’un «énergie noire» du nom d’un collectif anarchiste, les deux amis, à la retraite, sont venus s’informer des luttes de leurs congénères. Le premier, autrefois cuisinier, précise avoir toujours été «allergique à l’autorité et à l’injustice» et rêve d’un autre monde «plus sobre, plus fraternel». «Le capitalisme constitue le problème numéro un de l’humanité, vient ensuite la religion», affirme Claude, prônant la décroissance et un meilleur partage du travail. «Acheter en seconde main, recycler, faire avec le minimum et travailler au maximum deux heures par jour pour la collectivité», suggère le sexagénaire, opposé à l’argent et relativement optimiste quant aux chances de changement. «L’utopie fait vivre, même si je suis bien dégoûté.» Son ami opine et mise en plus sur l’éducation. Cet ancien dessinateur en bâtiment porte un regard amer sur le monde de l’emploi après avoir fait un burn-out. «J’étais engagé par une mairie qui consacrait tout son budget à des projets puérils. Révoltant. Au début, j’aimais bien le job et le travail en équipe, mais la numérisation a dématérialisé la communication. Violent. Seules les tâches choisies ont du sens.» Eléonore vit elle dans la marge, effectuant des boulots de ferraillage et de bucheronnage. «Etre anarchiste, c’est être responsable de soi, libre et respectueux des autres. Détourner les injonctions, les obligations. Il faut de l’imagination pour gruger le système», sourit la jeune femme. Quoi qu’il en soit, le trio note avec satisfaction la présence de nombreux jeunes. «La relève est assurée.»

Portraits des trois amis.
Les trois amis misent sur un monde décroissant et plus fraternel. © Olivier Vogelsang

De l’espoir à la clef

Posté pensivement au sommet du camping, Mateo, immobile, dit s’imprégner de l’énergie des lieux en vue de le comprendre et de se situer. Le jeune guitariste, originaire de Hambourg, a rejoint Saint-Imier avec des amis dans le but d’établir des connexions avec d’autres personnes. Il se définit comme anarchiste et associe le mot au respect des humains et de la nature, à la tolérance. S’il rêve d’un changement de système qui soit durable, il estime qu’il faut commencer par soi-même sans chercher à imposer sa manière de voir à d’autres. «Cette rencontre me donne de l’espoir, de l’énergie et me rappelle les choses essentielles», affirme Mateo, soucieux de ne pas tomber dans les pièges tendus par l’attrait de l’argent. A son retour en Allemagne en octobre, l’homme travaillera la saison d’hiver dans un bar «rassembleur», accueillant des concerts et des activités culturelles. Mateo s’occupe aussi de personnes autistes et handicapées mentales, les aidant dans leur quotidien. Deux activités qu’il apprécie, appréhendées comme un partage, un moyen de créer du lien.

Portrait de Mateo, guitare à la main.
Pour Mateo, la rencontre est l’occasion d’établir des connexions avec d’autres anarchistes. © Olivier Vogelsang

 

Pour aller plus loin

Contrer la surconsommation du Black Friday

La semaine dernière, plusieurs actions ont été menées un peu partout en Suisse pour dénoncer le Black Friday. Parmi elles, notons qu’une pétition, toujours en cours de signature, a...

Personnel de maison: financièrement à l’aise, mais totalement soumis

Dans son ouvrage «Servir les riches», la sociologue Alizée Delpierre dresse un magnifique portrait du personnel de maison en France, généralement bien situé financièrement mais sous le joug de l'employeur

Un vendredi hors de toute logique marchande

Black Freeday

Pour contrebalancer le Black Friday ce 24 novembre, une alliance d’organisations propose à Neuchâtel le Black Freeday, un marché gratuit doublé d’un moment d’échange et de partage

Portugais: le retour au pays

Les préparatifs vont bon train en ce jour de début septembre à la Chaux-de-Fonds, peu avant le départ de Ryan et de sa maman. Le fiston arbore fièrement le maillot du FC Porto. «Je crois que c’est vraiment le bon moment pour partir», souligne Tiago, le papa, même si ce n’est pas sans pincement au cœur.

La population portugaise ne cesse de diminuer depuis 2017. L’an passé, par exemple, ce sont quelque 11000 ressortissants de ce pays qui ont quitté la Suisse pour retourner dans leur patrie d’origine. Qui sont ces Lusitaniens qui repartent? Qu’est-ce qui motive leur choix? L’argent ou la «saudade»?...