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A l'OIT: la Suisse seule contre tous

Sécurité et santé au travail, liberté syndicale, le Conseil fédéral doit s'expliquer

L'OIT est dans la ligne de mire de la Suisse. Notre pays a voté, seul contre tous, contre une nouvelle convention sur la sécurité et la santé au travail. Il s'en prend aussi au Comité de la liberté syndicale qui lui demande de prendre des mesures pour protéger les délégués syndicaux. Christian Levrat, vice-président de l'USS, pose le problème devant le Parlement.

A quel jeu joue la Suisse, membre fondateur, en 1919, de l'Organisation internationale du travail? Alors que notre pays a connu, en 2004, 189 accidents mortels sur les lieux de travail et que 60 000 accidents de travail ont été répertoriés durant le premier trimestre 2006, il s'est illustré, en juin lors de la 95e Conférence internationale du travail, en étant le seul des 178 pays membres de l'OIT à voter contre une nouvelle convention «concernant le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail»! Même le représentant patronal helvétique n'a pas estimé opportun de s'y opposer et s'est abstenu. Le motif évoqué par le représentant du gouvernement, un responsable du seco, est qu'il existe d'autres moyens pour atteindre le but projeté (recueil de directives pratiques, déclaration de politique générale...), mais aussi qu'il ne faut pas augmenter les charges des entreprises.
En juin toujours, la Suisse s'est encore illustrée en remettant en cause la légitimité du Comité de la liberté syndicale de l'OIT. Dans un rapport complémentaire sur la plainte déposée par l'USS en 2003 au sujet des licenciements antisyndicaux, la Suisse conteste la saisie de ce comité et la légitimité de ses recommandations, prétendant que la convention 98 sur le droit d'organisation, qu'elle a pourtant ratifiée, n'est pas directement applicable dans notre pays.
Alerté par ces positions, le vice-président de l'USS et conseiller national socialiste Christian Levrat demande des explications au Conseil fédéral. Durant la session d'automne du Parlement, il a d'abord déposé deux interpellations intitulées: «La Suisse mouton noir de la sécurité et de la santé au travail» et «La Suisse souhaite-t-elle se désengager de l'OIT?». Puis il est passé à l'offensive en déposant deux autres objets. Un postulat demandant au Conseil fédéral d'expliquer, dans un rapport, les motifs de la ratification ou non par la Suisse de chacune des quelque 180 conventions de l'OIT, et une motion demandant au gouvernement de ratifier la convention N°135 concernant les représentants des travailleurs (voir ci-dessous). Entretien.

Comment interprétez-vous le vote de la Suisse contre la nouvelle convention sur la sécurité et la santé au travail?
Ce vote montre que la Suisse est complètement isolée sur la scène internationale. Elle combat une nouvelle norme avant même que se pose la question de savoir si la Suisse devrait ou non la ratifier. L'acceptation de cette convention par les autres Etats est le signe qu'ils veulent davantage de protection. Mais la Suisse, gratuitement, offre un signal inverse. C'est choquant parce que cela ne correspond pas à la politique des droits humains que prône la Suisse. Il est inadmissible que les droits de l'homme s'arrêtent à la porte des entreprises. Les droits syndicaux en font partie intégrante!
C'est aussi choquant parce que la Suisse, où siège l'OIT, est dépositaire de ses conventions et devrait jouer un rôle modèle. Le vote de la Suisse marque un retour à une position très restrictive en matière de droit international du travail. La Suisse était considérée comme un moteur jusqu'à maintenant en demandant des règles plus strictes, afin que les coûts du travail dans les pays en voie de développement soient plus élevés, ce qui serait plus favorable au commerce. Aujourd'hui, c'est la politique du moins d'Etat, du démantèlement des barrières commerciales qui prend le dessus. L'OIT est un contrepoids à l'OMC, car elle édicte des règles qui déterminent le travail décent. Ce qui me révolte, c'est qu'avec sa position, la Suisse affaiblit l'OIT et l'équilibre qui devrait exister entre l'OIT et l'OMC. Si notre pays devient le fer de lance du combat contre l'OIT, ce sont les limites de la mondialisation qui sont remises en cause.

Ce vote ne reflète-t-il pas la volonté du patronat, en particulier de l'USAM, d'alléger le dispositif de sécurité et de santé au travail dans notre pays?
Les mesures existant en Suisse font l'objet, dans le cadre du seco, d'une attaque assez sévère. Les entreprises sont contraintes d'avoir un plan de sécurité et de santé au travail ou de s'associer à des solutions de branches. Dans le contexte de la lutte contre la prétendue bureaucratisation de l'économie, on s'apprête à faire table rase de ces dispositions. Cette volonté d'affaiblissement de la protection de la santé et de la sécurité explique probablement la position de la Suisse à l'OIT. La volonté politique au seco est d'affaiblir les normes. C'est choquant quand on considère le nombre d'accidents et de maladies professionnels.

Votre seconde interpellation porte sur la remise en cause de la légitimité du Comité de la liberté syndicale...
Voir la Suisse remettre en cause un organe international est assez inquiétant. Pour mémoire, seul deux Etats ont osé contester la légitimité de ce comité: l'Espagne de Franco et l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid! Ce comité fonctionne, comme l'OIT, de manière tripartite, avec des représentants des Etats, des employeurs et des travailleurs. Ses décisions sont prises par consensus et ses recommandations ont toujours été suivies par le conseil d'administration de l'OIT. Sa contestation par le seco relève soit de la compréhension insuffisante des organisations internationales, soit de la volonté d'abaisser les standards sociaux.
Autre chose choquante dans la réponse du Conseil fédéral sur la plainte de l'USS: il dit que les syndicats n'ont pas épuisé toutes les voies démocratiques, qu'ils n'ont par exemple pas lancé d'initiative populaire sur la question des licenciements de délégués syndicaux. Et qu'aussi longtemps que tous les instruments de notre démocratie directe n'ont pas été utilisés, on ne peut pas invoquer des normes internationales. Je ne souhaiterais pas que Blocher use du même raisonnement face à un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme au prétexte que la personne qui y aurait recouru, par exemple sur une violation du droit de la famille, n'ait pas déposé d'initiative sur cette question.

Cette position motive-t-elle votre demande de ratifier la convention 135?
Oui. La convention 135 est le fondement international de la protection des représentants des travailleurs au sein des entreprises. Comme 79 autres pays, dont quasiment tous les pays européens, l'Allemagne, l'Angleterre, la France ou l'Italie l'ont ratifiée. Il est temps que la Suisse fasse de même afin que les travailleurs syndicalement actifs soient - enfin! - protégés dans notre pays.

Propos recueillis par Sylviane Herranz



La Suisse doit ratifier la convention 135 de l'OIT!

A la suite de la plainte déposée par l'USS à l'OIT sur l'absence de protection en matière de licenciement des délégués syndicaux et de l'invitation faite à la Suisse par le Comité de la liberté syndicale de prendre des mesures «pour qu'une telle protection soit réellement efficace dans la pratique», Christian Levrat demande, dans une motion, au Conseil fédéral de ratifier la convention 135 de l'OIT «concernant les représentants des travailleurs».
Cette convention, ratifiée à ce jour par 79 pays, stipule à son article 1: «Les représentants des travailleurs dans l'entreprise doivent bénéficier d'une protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des travailleurs, leur affiliation syndicale, ou leur participation à des activités syndicales, pour autant qu'ils agissent conformément aux lois, conventions collectives ou autres arrangements conventionnels en vigueur.»

SH



L'OIT et la santé au travail

La Constitution de l'OIT établit le principe selon lequel les travailleurs doivent être protégés contre les maladies en général et contre les maladies professionnelles et les accidents qui résultent de leur emploi. Plus de 40 conventions et recommandations traitent spécifiquement de ces questions. Mais cette protection est encore loin d'être une réalité. Quelques chiffres:
- 2,2 millions de personnes meurent chaque année d'accidents ou de maladies résultant du travail, soit 6000 personnes par jour;
- environ 160 millions de personnes souffrent de maladies liées au travail;
- chaque année, il y a environ 270 millions d'accidents mortels et non mortels en rapport avec le travail;
- l'OIT estime que 4% du PIB mondial sont gaspillés à cause des maladies professionnelles et des accidents du travail;
- ces 4% représentent 20 fois le montant total consacré à l'aide publique au développement dans le monde.

Source: OIT; www.ilo.org/safework



Retour au 18e siècle?

«Pitoyable... On croit revenir au 18e siècle! Car au 19e siècle notre pays faisait œuvre de pionnier en instaurant la liberté d'association et en légiférant pour, entre autres, interdire le travail des enfants, limiter la durée du travail, créer une inspection du travail et imposer la responsabilité de l'employeur en cas d'accident professionnel. Précurseur éclairé, le Conseil fédéral militait alors pour l'adoption de normes internationales du travail, ainsi que la création d'une institution chargée d'aider les gouvernements à les mettre en œuvre. En 2006, le gouvernement du pays hôte de l'OIT a donné l'image d'être devenu le plus bête du monde. Au prétexte de ne pas charger davantage les entreprises.»

Réaction de Jean-Claude Prince, représentant des travailleurs suisses à l'OIT, au vote de la Suisse sur la nouvelle convention de l'OIT. Rapport de l'USS.