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«Notre colère légitime porte un nom: réintégration»

Pierre-Yves Maillard s'adressant aux personnes rassemblées devant l'entreprise Dubois Dépraz.
© Neil Labrador

Devant le siège de Dubois Dépraz, au Lieu, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, a apporté le soutien de tous les syndicats de Suisse au jeune délégué licencié.

Plus de 100 personnes se sont rassemblées le 8 juillet dernier à la vallée de Joux pour exiger la réintégration du délégué syndical de l’entreprise Dubois Dépraz, licencié fin juin

«Le 24 juin, de manière brutale et totalement injustifiée, l’entreprise Dubois Dépraz a licencié notre délégué syndical Mickaël Béday. Dubois Dépraz a cherché n’importe quel prétexte pour le licencier. Cet acte vise l’activité syndicale de Mickaël sur son lieu de travail.» Secrétaire syndicale d’Unia à la vallée de Joux, Camille Golay ne cachait pas sa colère le 8 juillet dernier, lors du rassemblement convoqué devant le siège de l’entreprise au Lieu pour demander la réintégration du jeune délégué horloger. Quinze jours auparavant, Mickaël Béday avait été contraint de prendre ses affaires et de quitter l’usine, en fin de journée, alors que tous ses collègues étaient déjà partis.

Plus de cent personnes se sont réunies pour lui apporter leur soutien, et celui de nombreux syndicats et organisations politiques. «Nous sommes face à un changement radical en Suisse, avec une détérioration des droits des travailleurs et des droits syndicaux», a poursuivi Camille Golay, rappelant l’absence de protection des délégués et le retrait de la Suisse de la liste noire de l’Organisation internationale du travail (OIT) en contrepartie d’une médiation pour résoudre ce problème. «Notre cadre légal n’est pas digne d’une Suisse du XXIe siècle. Nous exigeons qu’il prévoie l’interdiction de licencier un délégué syndical; le droit à la réintégration au même poste; une hausse de l’indemnité à 24 mois de salaire; le renforcement des prérogatives des syndicats. Et aujourd’hui, nous exigeons, comme plus de 1000 personnes ayant signé la pétition ce week-end, l’annulation du licenciement et la réintégration de Mickaël à son poste de travail et de délégué syndical.»

«La vie appartient à ceux qui luttent»

«Depuis que j’ai commencé à travailler, j’ai appris et compris que, pour améliorer nos droits, il fallait s’organiser et lutter collectivement, a expliqué Mickaël Béday. J’ai réuni un comité ouvrier pour discuter de nos revendications, puis les porter à la direction. J’ai lutté pour le respect de l’article de la CCT sur les heures supplémentaires, et pour le paiement du temps où nous ne pouvions pas travailler en raison d’un déménagement. Avec l’aide de Camille, ma secrétaire syndicale, nous avons gagné sur ces deux points. Je ne supporte pas les inégalités et les injustices sociales, c’est pourquoi je me suis engagé pour mes collègues.» Et le jeune horloger d’appeler les travailleurs à relever la tête: «Ce sont les actionnaires qui décident de notre sort et pas nous, qui produisons les richesses. Seule notre mobilisation, par le biais du syndicat, permettra de défendre nos droits dans un monde du travail où les crises économiques vont se succéder. La vie appartient à ceux qui luttent!»

Responsable Unia de l’horlogerie, Raphaël Thiémard a tempêté: «Ce rassemblement est une manifestation de soutien, de colère et d’avertissement: de soutien à Mickaël, licencié pour des prétextes que nous n’acceptons pas, et à tous ceux qui s’engagent pour améliorer les conditions de travail de leurs collègues. De colère des travailleurs de Dubois Dépraz qui ont perdu un des leurs, et surtout quelqu’un qui se souciait au quotidien du respect de leurs droits. De colère des délégués syndicaux de la Vallée et au-delà, pour qui cette attitude patronale fait peser de lourdes menaces sur leur liberté d’action et de parole, et d’Unia qui dénonce une fois de plus la protection insuffisante des représentants des travailleurs. Nous avertissons les entreprises, et plus largement le patronat: réfléchissez à deux fois avant de vous attaquer aux droits syndicaux. Il n’y a pas de paix du travail sans respect des syndicats. Notre colère légitime porte un nom: réintégration.»

Intolérable

Président de l’Union syndicale suisse (USS), Pierre-Yves Maillard a aussi dit sa colère et son «immense tristesse»: «Pour avoir développé le syndicat dans l’entreprise, Mickaël a pris des risques pour défendre les droits de ses collègues.» Ancien syndicaliste de la FTMH, il a rappelé un licenciement similaire, il y a une quinzaine d’années, aux Usines métallurgiques de Vallorbe, puis ceux intervenus chez Matisa et Tesa. «Ce n’est pas tolérable, ce pays ne peut pas continuer comme ça. Nous allons entamer cette médiation avec le souvenir de toutes ces destinées brutalisées. Mickaël, l’ensemble des syndicats de Suisse te soutiennent.»

Devant les manifestants, Hanane Faloussi, déléguée syndicale de Vacheron Constantin, s’est exclamée: «Nous ne sommes pas là pour embêter quiconque, nous sommes là pour faire respecter la convention collective, pour que la paix du travail ait un sens. C’est inadmissible qu’un collègue soit licencié pour ses activités syndicales!»

Se tenir les coudes

Julien Eggenberger, président du SSP-Vaud s’est dit choqué du licenciement de collègues syndiqués, évoquant celui des grévistes de la Providence à Neuchâtel: «Ce sont des menaces sur les gens qui s’engagent sur les lieux de travail.» «Ce n’est pas choquant, c’est désastreux, a surenchéri Vincent Leggiero, président du SEV-TPG à Genève. Mickaël n’a jamais dit ce qui était bien ou pas pour les ouvriers, mais il les a organisés pour faire entendre leur voix. Il est leur porte-parole. En l’attaquant, l’entreprise veut faire taire l’ensemble des ouvriers. Partout on doit se battre contre une politique générale d’attaque de nos acquis. Aujourd’hui, la seule chose qui compte c’est la réintégration de Mickaël pour redonner la parole aux travailleurs.»

En aparté, Erika Meyer, retraitée de l’horlogerie et ancienne déléguée syndicale chez Audemars Piguet, lance un appel aux salariés de Dubois Dépraz: «Vous devez vous regrouper pour défendre votre délégué. Sinon, il y en aura d’autres après. Les gens ont peur. C’est une réalité. Mais comment faire face? Ce n’est qu’en se tenant les coudes qu’on peut y arriver.»

Une activité sanctionnée

Mickaël Béday, horloger et diplômé horloger-rhabilleur, a commencé à travailler en 2013 chez Dubois Dépraz au Lieu, une entreprise de sous-traitance horlogère comptant plus de 350 employés sur ses trois sites de la vallée de Joux et à Arch dans le canton de Berne. Comme le prévoit la CCT de l’horlogerie, il est désigné comme délégué syndical et débute son mandat en janvier 2017. Il est aussi membre de la commission nationale de l’horlogerie d’Unia. Début 2018, il reçoit un avertissement en lien avec ses activités, qui sera retiré. En octobre 2018, il intervient pour demander le respect de la CCT sur les heures supplémentaires et obtient que les travailleurs qui le souhaitent puissent les reprendre en congé. En mars 2019, il demande que les heures non travaillées en raison du déménagement d’un atelier soient rémunérées. Ce qui sera fait également. Deux mois plus tard, Mickaël Béday reçoit un autre avertissement, notamment pour un oubli de timbrage et du «bavardage». Outre l’oubli de timbrage, qu’il reconnaît (à relever que les employés de Dubois Dépraz doivent timbrer même pour aller aux toilettes), il conteste les autres points qui ne correspondent pas à la réalité. Un mois plus tard, le jeune horloger est licencié et libéré de son obligation de travailler durant le délai légal. L’entreprise lui reproche d’avoir échangé une pièce défectueuse contre une autre au lieu de la retoucher et d’avoir livré une autre pièce non retouchée avec la mention «faite».

S’il regrette ces erreurs, l’horloger conteste avoir voulu nuire à l’entreprise comme l’accuse la direction. Dans un communiqué daté du 5 juillet, le directeur de Dubois Dépraz indique que son employé n’avait pas exécuté les retouches demandées par un contrôleur et qu’il avait «croisé les étiquetages», ce qu’il qualifie de «grave tromperie». Le directeur accuse également Unia d’instrumentaliser ce licenciement à des fins politiques. Questionné par nos soins au sujet de l’interprétation de cette erreur, Pierre Dubois indique qu’il faut «dissocier les choses. L’erreur est un phénomène courant et n’est pas sanctionnée. Par contre, il s’agit là d’une faute professionnelle grave qui n’a rien de banal. Cela peut provoquer des dégâts d’image dans notre milieu. Vous semblez banaliser les répercussions. C’est comme un garagiste qui ne révise que trois roues sur quatre. Cette faute était intentionnelle. Bien sûr, il n’y a pas mort d’homme, ni dommage financier, mais nous avons sanctionné une tromperie qui vise à induire en erreur. La confiance a été rompue. L’activité syndicale de M. Béday n’est pas à l’origine de son licenciement.»

Raphaël Thiémard, responsable de la branche pour Unia et horloger lui-même, réserve son analyse des erreurs pour la justice mais souligne que «ce sont des choses qui peuvent arriver. C’est pour cela qu’il y a des contrôles à toutes les étapes.» Dans le cas de Mickaël Béday, il estime que ces erreurs ont été montées en épingle pour justifier son licenciement. «Ne pouvant plus lui reprocher ses activités syndicales, ils ont pratiqué la tolérance zéro pour trouver de quoi le mettre à la porte. Parler de tromperie ou de fraude est choquant à propos de ce délégué, alors que c’est quelqu’un qui s’investit dans son travail et qui a eu à cœur d’améliorer la qualité de ses prestations. Il a même été félicité lors de sa dernière évaluation. Le fait que l’entreprise ait dû reculer sur deux différends a certainement fait monter la tension.»


Sentiment d’indignation

A l’aube du 8 juillet, Unia a tracté devant les sites de Dubois Dépraz au Lieu et aux Charbonnières. Abdeslam Landry, syndicaliste d’Unia, résume les impressions recueillies: «C’est un sentiment d’indignation et de révolte qui a été exprimé par les travailleurs rencontrés. Et malheureusement, de peur aussi. Certains nous ont dit: “Pour nous faire taire, ils s’en prennent à notre délégué syndical.” Pour eux, le licenciement de Mickaël n’est pas causé par sa soi-disant faute professionnelle mais parce qu’il dérangeait dans l’entreprise.»

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