Dans l’enfer de la mine
Exploitée dès les années 1700 jusqu’en 1990, la mine irlandaise d’Arigna, dans le comté de Roscommon, a été transformée en musée. Voyage dans les entrailles de la terre avec un ancien mineur, à la découverte des terribles conditions de travail des gueules noires
Au seuil de la mine, au-dessus de la voûte, une Vierge veille sur les lieux. Et, à l’entrée, illuminée par une lampe, l’image du Sacré-Cœur de Jésus a vocation d’oratoire. «Les ouvriers s’y arrêtaient pour prier et solliciter protection et sécurité avant de pénétrer dans la galerie.» Ancien mineur appartenant à la quatrième génération de gueules noires dans sa famille, Michael Early entame la visite du site d’Arigna, exploité dès les années 1700 jusqu’en 1990. Casque de chantier vissé sur la tête, comme les participants, il évoque, tout au long du parcours les conditions de travail extrêmes qui prévalaient dans ce microcosme souterrain, avec ses règles, ses codes, son vocabulaire spécifique. Son récit embrasse différentes époques où se mêlent à l’Histoire ses souvenirs personnels. L’homme de 56 ans, teint pâle et visage marqué, a travaillé neuf années durant, de 1981 à 1990, à l’exploitation du minerai aux côtés de 400 à 500 employés. «J’ai été engagé à l’âge de 15 ans», précise-t-il, progressant dans la galerie de roulage ou galerie principale. Cette voie était toujours droite afin de faciliter la pose de rails sur lesquels circulaient les berlines, d’abord en bois, puis en acier, remplies de charbon. Elle mesurait autrefois 1,8 mètre de haut sur 3 mètres de large. Soutenu par des troncs de bois remplacés aujourd’hui par des arches métalliques, ce tunnel a été rehaussé et l’ensemble de la mine éclairé. Un des seuls changements notables, avec le damage du sol, concédé au lieu afin de l’adapter à sa nouvelle fonction.
Allongés dans l’humidité
Tout au long de ce voyage dans le temps et dans les entrailles de la terre, Michael Early explique le fonctionnement de la mine. Il détaille ses ramifications principales et secondaires, ses sombres boyaux et ses puits d’aération à l’efficacité relative, l’organisation des tâches, entre les équipes de nuit et celles de jour. Les premières avaient pour mission de forer les tunnels à coup d’explosifs au fur et à mesure de la progression de l’extraction et de les équiper de voies ferrées; les secondes s’attelaient à la collecte du charbon à proprement parler. Dans ce cas, les ouvriers travaillaient toujours en binôme. Le piqueur consolidait la voûte et concassait la roche à l’aide d’un marteau-piqueur – autrefois une pioche. Son acolyte, le herscheur, chargeait le minerai dans un wagon. «Nous en remplissions trente quotidiennement, soit dix tonnes de charbon par jour à deux. Pour ne pas perdre de temps –il fallait marcher plus de trois kilomètres pour atteindre son poste de travail – nous prenions notre repas dans la mine, emportant sandwich et thé froid», poursuit Michael Early, précisant que les travailleurs devaient acheter leurs propres outils et leurs équipements, «afin que leur entretien ne soit pas négligé». Les trous devaient ensuite être rebouchés avec des déblais au risque que la montagne ne s’effondre... On retiendra en particulier de ces explications parfois difficiles à suivre, entre vocabulaire technique et un accent prononcé, la pénibilité du labeur, le bruit assourdissant des explosions, l’air irrespirable... Et surtout, les contraintes auxquelles étaient soumis les mineurs obligés de travailler allongés sur le côté, rampant dans la roche, taillant des veines de charbon faisant rarement plus de 50 cm de hauteur. A l’inconfortable de la position s’ajoutaient l’humidité due aux infiltrations d’eau, la poussière, l’obscurité trouée par la lueur de lampes à carbure avant qu’elles ne soient détrônées par celles électriques. Une scène reconstituée à l’aide d’un mannequin couché dans une de ces tranchées permet de prendre toute la mesure de la dureté de la tâche.
Les femmes, des héroïnes
«Les conditions étaient mauvaises, le travail difficile et dangereux, mais nous touchions un bon salaire. On était jeune, on s’adaptait. Et puis, comparé à jadis, j’étais chanceux avec ma lampe frontale. A mon époque, c’était un hôtel», relativise le guide, mentionnant encore la réaction, vers la fin des années 1950, des employés à la suite de l’introduction d’une haveuse provenant d’Ecosse. «Ils la voyaient comme de la concurrence et craignaient pour leur job. Mais cette machine, comparée à d’autres bien plus grandes et performantes, n’a pas menacé les emplois. Après son passage, le charbon était encore extrait manuellement au pic ou au marteau-piqueur.»
La durée du travail et des rémunérations auront aussi généré deux grèves, en 1969 et 1978, avant que Michael Early n’y travaille. Favorable au syndicat, le cinquantenaire reste toutefois évasif sur le sujet, estimant «qu’il y avait du bon des deux côtés, aussi patronal». Et puis, temporise-t-il, il n’y avait pas beaucoup de possibilités d’embauche dans la région... Le guide, qui travaillait aussi durant son temps libre dans la ferme familiale, préfère insister sur la camaraderie qui liait les mineurs et l’image positive dont ils bénéficiaient. Non sans souligner le mérite des épouses et des mères qui se chargeaient de nettoyer vêtements et maisons. «Les vraies héroïnes, c’étaient les femmes.»
Glaçant...
La question de la santé et de la sécurité dans la mine, entre coups de grisou, accidents avec les machines, inhalation de poussières, etc., alimente encore la discussion. «Heureusement, il n’y a eu que peu d’accidents mortels, plutôt des blessures avec les machines. En revanche, nombre d’ouvriers ont contracté des maladies professionnelles comme la silicose.»
La visite se termine par une démonstration glaçante: Michael Early déclenche, lumières éteintes, une explosion fictive... Et avec elle l’envie de prendre ses jambes à son cou pour retrouver l’air libre. Cette immersion passionnante est encore complétée par une exposition audio-visuelle et des anciennes photos noir-blanc présentées à l’entrée du musée. Qui a poussé le réalisme jusque dans le choix de son bâtiment: l’édifice a été construit sur le modèle de terrils, ces collines artificielles formées par l’accumulation de résidus miniers...