Pour un plan d’urgence démocratique, écologique et social

Les initiatives écologistes et citoyennes fleurissent en ce printemps. Des actions de désobéissance civile internationale de Renovate Switzerland qui a bloqué déjà une autoroute à Lausanne et le pont du Mont-Blanc à Genève, la création de l’association fribourgeoise Architectes pour le climat, ou encore l’appel à une amnistie générale pour les centaines de militants du climat en procès par le réalisateur Frédéric Choffat. Une nouvelle plateforme d’actions citoyenne baptisée «AG!SSONS» voit également le jour en commençant par un appel pour un plan d’urgence démocratique, écologique et social. Entretien avec l’un de ses initiateurs Steven Tamburini, ancien gréviste du climat.

Pourquoi cette plateforme maintenant et avec quels objectifs?

D’après le dernier volet du 6^e rapport du GIEC: il faut agir maintenant! «AG!SSONS» souhaite rassembler toutes les personnes désirant des réponses immédiates et ambitieuses afin de faire face à la triple urgence démocratique, écologique et sociale. En coélaborant et évaluant toute une série de mesures concrètes par une consultation populaire, nous proposerons le lancement de vagues d'initiatives, c'est-à-dire plusieurs initiatives populaires en même temps, afin que ces thématiques soient désormais au centre des débats médiatiques et politiques. Les intérêts économiques dominants dictent l’agenda et déforment ainsi complètement les enjeux, nous entraînant droit dans le mur! Par cette démarche, nous souhaitons également expérimenter des méthodes et des outils du «community organizing» ou de l'éducation populaire. Elles offrent de réelles possibilités d'organisation collective et la construction de contre-pouvoirs citoyens conséquents. Notre appel pour un plan d'urgence démocratique, écologique et social est la première base.

Comment créer un élan citoyen?

Il faut adopter une posture humble et curieuse, s'intéresser aux luttes victorieuses, d'ici et d'ailleurs, apprendre de leurs succès et de leurs erreurs. Comment s'organisent-elles? Quels outils ont-elles mobilisés? Comment font-elles pour croître rapidement? C'est ce que nous avons fait, pendant plusieurs mois. Ça peut paraître trivial, mais tout commence en se voyant, en discutant et, surtout, en allant à la rencontre des gens au quotidien, pour ne pas rester dans un entre-soi. Puis, se rassembler sur des objectifs communs, par un projet concret, les réaliser en plusieurs étapes, afin d'obtenir rapidement des victoires concrètes qui amènent confiance et pouvoir collectif. De là, il faut construire de nouvelles formes et intensités de conflictualité (souvent par la créativité!) qui permettent la remise en question des logiques économiques et politiques hégémoniques, ainsi que placer les dominants face à leurs contradictions. Bien sûr, la formule magique n’existe pas, et il faut aussi un peu de chance. Des éléments improbables font qu'une lutte peut croître exponentiellement, alors qu'elle était très minoritaire pendant des années. Les exemples de la Grève du climat et de la grève féministe sont parlants.

L’outil démocratique de l’initiative n’est-il pas trop lent face à la catastrophe climatique en cours?

Les initiatives populaires ne sont pas seulement conçues comme des finalités, mais aussi comme des moyens de se rassembler et de fédérer un large réseau, coconstruire et proposer un projet alternatif de société, contraindre les médias et les élus à répondre à nos mesures, réaliser de la pédagogie politique de manière décentralisée et à large échelle… Ce sont déjà des victoires politiques! Et une préparation pour agir à l’avenir sur le cours des événements.
Nous pensons qu’utiliser les initiatives populaires permet de mettre immédiatement nos préoccupations au centre du débat et d’obliger les politiques à se positionner.
Lors de mes expériences, j’ai observé une immense inertie – voire même un certain conservatisme – au sein des partis et des organisations traditionnels. Les gens sont souvent alignés sur 99% de leurs positions, mais le 1% les divise et retient leur attention. Je crois qu’il faut accepter que rien n’est jamais parfait (ce qui nous ferait aussi gagner beaucoup de temps), et dans l’urgence actuelle, avancer avec toutes celles et ceux qui sont alignés sur 66%, autrement nous serons une force réduite à l’impuissance collective. Dans tous les cas, je reste convaincu qu’un changement d’ampleur sans précédent sera nécessaire pour faire face aux enjeux de la catastrophe écologique.

Avec la Grève du climat, la grève féministe, la Grève pour l'avenir, Extinction Rebellion et d'autres collectifs... N'avez-vous pas peur d'une confusion ou d’une dispersion des forces?

Chacun de ces mouvements est différent et singulier, que ce soit dans leurs revendications, leurs manières de s’organiser, leurs méthodes d’action, leur composition, etc., même s’ils partagent, dans les grandes lignes, la nécessité d’une bifurcation écologique et sociale. Plusieurs des personnes à l’initiative de cet appel font ou ont fait effectivement partie de ces mouvements, mais nous ne désirons pas les éclipser, encore moins les remplacer, bien au contraire. Il faut plutôt voir la démarche d’«AG!SSONS» comme un outil dont les mouvements sociaux, toutes les personnes et les organisations peuvent se saisir pour provoquer un électrochoc médiatique et politique. Nous la concevons comme une plateforme d’actions citoyenne, politique et apartisane. Si nos premières expériences seront vaudoises, l’ambition est nationale, et nous avons déjà une stratégie pour se propager exponentiellement et s’organiser partout en cercles locaux.