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Quand tous les pauvres s’y mettront

Chaque samedi, après la manif, l’histoire se répète, les blessés affluent aux urgences. Ici un pied déchiqueté, là une main arrachée, un œil crevé, une joue trouée, une mâchoire défoncée ou une fracture du crâne… Le moins grave, c’est un énorme hématome sur le corps. Sommes-nous au Venezuela? Non, ça se passe à côté de chez nous. En France. Au 29 janvier, Mediapart avait recensé quatre mains perdues et 18 éborgnés. De jeunes hommes pour la plupart, devenus handicapés à vie. Leur seul tort étant d’avoir participé à une manifestation. Il y a eu aussi un décès, une femme de 80 ans victime d’un tir de grenade lacrymogène au visage. Mais c’est une vieille, de Marseille et d’origine maghrébine, alors ça n’intéresse pas beaucoup Paris.

C’est du jamais vu dans l’Hexagone depuis la guerre d’Algérie et la répression de la grève des mineurs de 1947. Mai 68, bien que brutal, affiche un bilan moins lourd. Il faut dire que face aux «enragés», les forces de police n’avaient pas d’armes de guerre entre les mains, contrairement à aujourd’hui. On ne mettait pas des lycéens à genoux en ces temps-là. Le préfet de police d’alors, Maurice Grimaud, était pétri d’un certain humanisme. L’actuel ministre de l’Intérieur, Castaner, est un voyou. Sa fable des «casseurs» ne tient pas. Depuis le début des années 2000, le pouvoir français a choisi de traiter la contestation sociale par la répression. Ça a commencé dans les banlieues avec Sarkozy, en tant que ministre d’abord, puis président; ça s’est poursuivi sous Hollande et Valls lors de la Loi travail et ça continue encore plus fort maintenant avec Macron contre les Gilets jaunes. «Casseurs» ou «terroristes», l’excuse est habituelle pour les dictateurs qui cherchent à se maintenir. «C’est nous, l’institution, qui fixons le niveau de violence de départ. Plus la nôtre est haute, plus celle des manifestants l’est aussi», analysait, il y a quelques années, un haut responsable du maintien de l’ordre cité par Le Monde diplomatique.

Il est désormais devenu difficile de manifester dans la «patrie des droits de l’homme» sans se faire gazer, matraquer et tirer dessus. Macron est tout de même sacrément culotté de faire la leçon à Maduro. On espère que le président français rende un jour des comptes à la justice. Il a cherché à briser un mouvement juste et salutaire, rassemblant des citoyens qui ont choisi de ne pas céder à la résignation et au désespoir, de se mobiliser et de trouver ensemble les voies pour sortir de la précarité. Au prix d’un mort et de nombreux blessés, Macron a provisoirement gagné un répit. Mais le peuple reviendra sûrement. Et, comme le dit la chanson de Jean-Baptiste Clément, La Semaine sanglante, «gare à la revanche quand tous les pauvres s’y mettront».