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Sans papiers mais pas sans courage

Soutenu par Unia un travailleur genevois sans statut légal traîne son ancien employeur devant les Prud'hommes

Employé d'une entreprise de peinture, Camilo était payé bien en deçà du minimum de la convention collective. Un jugement du Tribunal des prud'hommes condamne l'employeur à lui verser 200000 francs.

«Camilo a osé réclamer son dû, il faut souligner son courage qui n'est pas si courant chez les travailleurs sans papiers», explique José Sébastiao, secrétaire syndical d'Unia Genève. Originaire de Bolivie, Camilo a été employé de 2006 à 2011 par une entreprise de peinture sise dans la banlieue genevoise. «Je travaillais neuf heures par jour, tous les jours, le samedi et les jours fériés aussi», raconte le peintre. «Au début, je gagnais 80 francs par jour et, pour finir, 140 francs.» Soit bien en deçà des quelque 200 francs journaliers que la convention collective assure aux manœuvres du secteur du bâtiment. «Nous étions treize employés sans papiers», poursuit Camilo. «Quand nous étions payés à la fin du mois, on nous faisait signer une feuille de paye en partie pliée et dont on ne pouvait lire le contenu. Lorsque je demandais à la voir, on me répondait que c'était interdit.» L'employeur ne s'acquittait pas non plus du paiement des charges sociales et du treizième salaire, ni des indemnités pour les vacances non prises et le panier-repas. «En août 2011, on m'a présenté une feuille pliée à signer en prétendant que c'était un contrat de travail. J'ai compris ensuite qu'il s'agissait d'une lettre de congé pour raisons économiques. Je suis allé voir le patron pour lui réclamer 5000 francs pour solde de tout compte. Il a refusé en me menaçant de me dénoncer à la police», s'indigne l'ouvrier. Une pratique courante? «Oui, certains patrons n'hésitent pas à signaler des sans-papiers pour éviter de les payer», répond José Sébastiao.

Faux et usage de faux aux Prud'hommes
Le travailleur s'est alors adressé au syndicat Unia qui a déposé un dossier aux Prud'hommes. Devant le tribunal, l'employeur a présenté un contrat signé par Camilo en soutenant qu'il n'était employé que sur appel, et ce depuis novembre 2010 seulement. Le travail effectué avant cette date relevait de la responsabilité d'un sous-traitant, décédé depuis. S'appuyant sur des témoignages, l'instruction a cependant montré que cette personne en question n'était autre qu'un chef d'équipe de la société. Quant au fameux contrat, une expertise commandée à l'Institut de police scientifique de Lausanne a prouvé que la signature prétendument apposée par Camilo avait été copiée d'un paraphe apposé sur une fiche de paye par un procédé de duplication... Les juges ont ainsi pu confondre ce patron voyou, qui n'a pas hésité à produire de faux documents et à tenter de faire porter le chapeau à une personne décédée, et le condamner à verser environ 200000 francs d'arriérés de salaire et d'indemnités à Camilo.
Contestant le jugement, l'avocat de l'entreprise a introduit un recours à la Chambre d'appel des prud'hommes. «Même s'il faut rester prudent, nous avons de bonnes chances de succès en appel», estime Me Roman Seitenfuss, l'avocat de Camilo mandaté par Unia. «Au vu du montant à payer, le risque existe toutefois que l'employeur place l'entreprise en faillite pour éviter de s'en acquitter. Ce genre de sociétés ne sont souvent que des coquilles vides et il est très difficile de poursuivre les administrateurs pour faillite frauduleuse.»
José Sébastiao craint aussi une faillite, mais pour le secrétaire syndical, «l'argent n'est pas tout, il y aussi la question de principe». «De plus, avec le cas de Camilo, nous voulons montrer aux travailleurs sans papiers qu'ils ont des droits, qu'ils peuvent et doivent revendiquer.»
Camilo a retrouvé depuis 6 mois un emploi et une demande de régularisation de son séjour a été déposée. 200000 francs, ce n'est pas une petite somme, qu'en ferait-il? «J'aimerais faire venir ma famille en Suisse, notamment pour que mes deux enfants puissent suivre des études.»

Jérôme Béguin