Depuis trois mois, les Haïtiens sont dans la rue pour réclamer plus de justice, plus d’égalité, un changement de système… Les écoles sont fermées, les médicaments manquent, la nourriture et l’essence aussi. Et l’insécurité règne. Le 14 novembre, l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA-IUF) a appelé à la solidarité avec les syndicats en Haïti et à la mobilisation populaire. Selon la faîtière syndicale, une vaste coalition de quelque 150 organisations, dont 51 syndicats, réunies sous le nom de la «Passerelle» a présenté un ensemble de dispositions pour sortir de la crise et garantir une transition démocratique. Entre autres revendications: «La démission immédiate du président et des députés d’un Parlement qui ne tient plus séance, la révision du système électoral, des mesures visant à assurer le contrôle par la société civile d'éventuelles élections, ainsi que des mesures d'urgence pour faire face à l'effondrement économique et social.»
Les prémisses de cette vague de mobilisation historique de la population civile ont émergé il y a plus d’un an déjà. En juillet 2018, le Gouvernement haïtien veut augmenter le prix de l’essence. Les Haïtiens (à l’instar des Gilets jaunes) descendent dans la rue et réussissent à annuler la mesure tout en dénonçant la vie chère. Dès l’automne 2018 de cette même année, le scandale de corruption dans le cadre de l’accord PetroCaribe éclate. Cet accord démarré par Hugo Chávez, le feu président du Venezuela, prévoyait des conditions de paiement aménagées afin de permettre aux gouvernements bénéficiaires de dégager des ressources pour des investissements sociaux. Mais le fonds a été dilapidé ces dix dernières années sous le gouvernement de Michel Martelly puis, de son dauphin, le président actuel, Jovenel Moïse. En février 2019, le peuple descend encore une fois dans la rue pendant trois semaines pour demander des comptes et des jugements sur les détournements de fonds, mais aussi la démission du président. Depuis septembre, les mobilisations ont pris de l’ampleur bloquant le pays. Des gangs en profitent pour semer la terreur. Ces trois derniers mois, de nombreux humanitaires quittent le navire… Mais le gouvernement reste en place.
L’ombre des Etats-Unis plane, comme ailleurs dans les Caraïbes, et plus largement sur le continent latino-américain. Les Haïtiens vivent une situation chronique de dépendance envers leur encombrant voisin et la communauté internationale, avec un sentiment d’impuissance de ne pas pouvoir décider du sort de leur gouvernement. Une ingérence régulièrement dénoncée lors des mobilisations populaires. Aux siècles d’instabilités politiques depuis son indépendance en 1803 ‒ faisant du pays la première République noire indépendante du monde ‒ dont le traumatisme encore présent de la dictature des Duvalier, se sont ajoutés ces dernières années le meurtrier tremblement de terre de 2010 et l’ouragan Matthew en 2016. Les Haïtiens se réveillent-ils à l’instar des mobilisations populaires d’Amérique latine, et de tant d’autres pays? Un instant, on se prend à rêver de la fin de la corruption, des inégalités révoltantes, du système néolibéral et néocolonial et de l’avènement d’un monde égalitaire, où règnent justice et liberté. Pour l’heure, le peuple souffre.