Dans les méandres de la justice
Témoignages et revendications des délégués. La France montre l’exemple
La justice, de la reconnaissance pour quiconque a souffert, souffre actuellement ou souffrira encore à cause de l’amiante, l’assainissement du territoire et des travaux de recherche médicale. Voilà les revendications communes aux organisations de victimes présentes au sit-in organisé samedi 6 octobre au cœur de Barcelone (non loin du siège du gouvernement autonome de Catalogne), en marge de la rencontre internationale à laquelle ont participé des délégations venues des divers pays (Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon) et de toute l’Espagne.
Une telle manifestation est propice pour échanger des expériences et des informations, pour approfondir les relations et pour créer de solides liens de solidarité et de collaboration entre les diverses réalités vécues. Afin de donner force à la «multinationale des victimes», pour reprendre les termes de Bruno Pesce, leader historique des batailles syndicales et civiles contre l’amiante et contre la société Eternit à Casale Monferrato (où il y a déjà eu plus de 2300 morts).
Parmi les nombreuses questions abordées la veille, pendant la rencontre organisée par le Colectivo Ronda à Argentona (à 40 km de Barcelone) dans une maison de campagne lui appartenant, l’une dominait, à savoir la reconnaissance des maladies et l’indemnisation des victimes et de leurs proches. Le problème s’est récemment posé dans la plupart des pays. La discussion est partie d’Espagne, où la reconnaissance des maladies liées à l’amiante reste problématique et où les victimes sont contraintes à d’épuisantes batailles judiciaires. Le principe de la création d’un fonds d’indemnisation a beau avoir été approuvé il y a un an par le Congrès des députés, les choses en sont restées là, déplore le président de l’Avaac, Benedicto Martino, pointant du doigt «les entreprises qui persistent à décliner toute responsabilité».
L’Italie, seul pays où, malgré mille difficultés, des procédures pénales sont en cours contre les responsables (à l’heure actuelle, quatre ont été lancées contre Stephan Schmidheiny, dernier patron d’Eternit), dispose déjà d’un fonds. Les indemnités sont toutefois dérisoires et, faute d’attention suffisante de la part des gouvernements, les nécessaires couvertures financières manquent régulièrement. Les délégués ont jugé intéressant le modèle de fonds créé l’année dernière en Suisse, même s’il a pour défaut de réserver les indemnités aux cas de mésothéliome survenus après 2006. «Ce n’est pas suffisant, mais une telle solution va dans la bonne direction et pourrait faire école dans les pays où rien n’est encore prévu», commente un délégué français. La France constitue d’ailleurs un modèle à suivre: elle possède le meilleur système d’indemnisation du monde avec le FIVA, fonds créé en 2000, ouvert aux personnes souffrant d’une maladie liée à l’amiante (des plaques pleurales au mésothéliome et au cancer du poumon), ou à leurs héritiers jusqu’à la troisième génération. En plus, elle dispose d’un système de retraite anticipée destiné aux personnes exposées à l’amiante, dont ont déjà bénéficié plus de 420000 personnes: à partir de 50 ans, la retraite est avancée d’un an pour trois années d’exposition. Il va de soi que l’accès aux prestations (contrairement à ce que prévoient les pays disposant d’instruments similaires) n’exclut pas la possibilité d’agir en parallèle par la voie judiciaire contre les responsables. La Belgique aussi fait bonne figure: un fonds d’indemnisation y a été créé en 2007, même s’il ne couvre pas toutes les maladies et si ses bénéficiaires doivent renoncer à toute action en justice. «Le monde politique a voulu protéger les coupables», déplore le président de l’association Abeva Eric Jonckheere, fils d’un ingénieur ayant travaillé chez Eternit et mort du mésothéliome, comme d’ailleurs sa mère et deux de ses frères. «Nous habitions à quelques centaines de mètres de la fabrique», rappelle Jonckheere qui, l’année dernière, a obtenu au tribunal la première condamnation historique d’Eternit à la suite du décès de son père.
A l’exception de ces deux pays, la situation laisse à désirer un peu partout et, ces prochains mois, il nous faudra encore descendre dans la rue pour rappeler que «les victimes de l’amiante ont un nom et un prénom, tout comme les responsables de leur mort». CC