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Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait

En moins d’une heure ce vendredi 24 mai, les 170 travailleurs et travailleuses de la verrerie de Saint-Prex (VD) ont pris le contrôle de leur usine. Ils ont barré les accès au site, mis la main sur le stock, organisé la maintenance des installations et tenu des assemblées générales.

Ils n’avaient pas d’autre choix.

Leur employeur, Vetropack, avait confirmé le 14 mai son intention de fermer la dernière verrerie de Suisse. Le site qui l’a vue naître en 1911 ne serait plus en mesure de rassasier l’appétit d’un groupe aujourd’hui présent dans neuf pays, devenu l’un des plus grands producteurs européens de verre d’emballage, avec des revenus annuels avoisinant les 900 millions de francs. Soutenus par les syndicats Unia et Syna, les salariés avaient présenté un contre-projet bien ficelé, rejeté par la direction de la multinationale, qui, pressée, entendait procéder aux premiers licenciements avant la fin du mois de mai. Les ouvriers, dont certains affichent plus de trente ans de boîte au compteur, allaient se retrouver sur le carreau sans véritable plan social.

Rien de plus normal au pays de la paix du travail et de la sacro-sainte liberté économique consacrant la domination des héritiers et des propriétaires, qui peuvent, à leur guise, liquider sur l’autel du profit un patrimoine industriel, un savoir-faire et le gagne-pain de familles ouvrières. A l’instar du principal actionnaire de Vetropack, Claude Cornaz. 

Mais après sept longues et difficiles journées de grève, les ouvriers ont obtenu le gel des licenciements et l’ouverture de négociations. Chapeau!

L’espace de quelques jours, ils auront, en outre, laissé entrevoir la possibilité qu’une usine se passe de patron. Ils avaient déjà élaboré un projet alternatif à la fermeture qui a, selon 24 heures, «impressionné» le directeur général de Vetropack, Johann Reiter. Ecartant la direction et les contremaîtres, ils ont, durant la grève, maîtrisé seuls des installations complexes et donné corps à une démocratie ouvrière, rendant ainsi des couleurs à des vieilles idées du mouvement prolétarien sur la libre association des producteurs. Utopique? Oui, dans le sens des mots attribués à l’écrivain Mark Twain: «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.» Leur action pourrait inspirer les luttes d’autres salariés.

Certains préféreront y voir un baroud d’honneur. Qui signe, toutefois, l’une des belles pages de l’histoire de cette verrerie, même si c’est sans doute la dernière.

A voir cette mobilisation et le soutien manifesté par la population durant la grève, on pourra toutefois se demander s’il n’eût pas été possible de sauver la verrerie par une action délibérée et déterminée. Il aura sans doute manqué l’engagement d’un large comité de soutien politique. Faire reculer des multinationales est possible, si l’on songe, dans un passé récent, à Novartis qui voulait fermer Prangins, ou Generali qui entendait quitter Nyon. Deux combats d’Unia.

D’autant qu’à l’heure du réchauffement climatique, au moment où nous devons privilégier les circuits courts, envoyer notre verre à l’étranger pour être cassé et refondu est contraire au bon sens.

Mais les autorités vaudoises n’ont pas tapé du poing sur la table, tandis que, dans les couloirs du Palais fédéral, le conseiller fédéral en charge de l’Economie, Guy Parmelin, traînait ses patins.

Il est plus que temps que, comme le réclame Unia, soit élaborée et mise en œuvre en Suisse une véritable politique industrielle permettant de maintenir l’activité et les emplois autant que d’assurer la transition écologique.

L’engagement sincère et résolu des autorités se fait attendre alors que les travailleurs continuent de se battre pour un plan social digne de ce nom.