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«On assiste à une privatisation rampante de la prévoyance vieillesse»

«On a trop diminué les rentes et rien ne justifie de le faire encore en réduisant le taux de conversion», estime Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse.
© Thierry Porchet

«On a trop diminué les rentes et rien ne justifie de le faire encore en réduisant le taux de conversion», estime Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse.

Le président de l’Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard, appelle à rejeter la réforme du 2e pilier pour défendre le principe de la solidarité sociale et contrer l’essor des extrêmes en politique. Interview.

C’est le sujet chaud de la rentrée. Entre la votation du 22 septembre sur la réforme du 2e pilier, rejetée par les syndicats, et l’annonce cet été d’une erreur de calculs de plusieurs milliards sur les chiffres de l’AVS, on va beaucoup parler de prévoyance vieillesse ces prochaines semaines. Pour Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse (USS), les prévisions dans ce domaine sont toujours trop pessimistes.

Pierre-Yves Maillard, selon le Conseil fédéral, les mauvais rendements des marchés financiers menacent le financement du 2e pilier. Noircit-on le tableau?
Depuis la crise de 2008, on entend cette musique. Les experts ont toujours tendance à l’excès de prudence, à s’appuyer sur les projections les plus pessimistes, mais elles ne se réalisent pas. Le rendement du capital du 2e pilier n’a pas diminué à la suite de la récession et de la baisse des taux d’intérêts, grâce aux choix de placements diversifiés des caisses de pension. Elles n’ont pas seulement acheté des obligations, mais aussi investi dans toutes sortes de produits et d’actifs, comme l’immobilier. Cela s’équilibre. Et puis, LPP 21 a été élaborée à l’époque où les taux d’intérêts étaient négatifs. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. 

Vu l'allongement de l’espérance de vie, ne faut-il pas quand même revoir le système, afin de ne pas alourdir le fardeau pour les actifs?
Cela a déjà été largement pris en compte dans les calculs, même si les tabelles sur l’espérance de vie, qui servent à fixer les rentes, ne sont pas publiques – ce qui est en soi choquant. D’ailleurs, dans ces systèmes de prévoyance, on est toujours hyper prudents avec les calculs. Cela a permis aux caisses d’engranger des réserves inédites, qu’on estime à 150 milliards. Autrement dit, le système a été surfinancé ces vingt dernières années. On a trop diminué les rentes et rien ne justifie de le faire encore en réduisant le taux de conversion. En vingt ans, à capital égal, les rentes ont baissé de 20% alors que les charges fixes des ménages ont augmenté.

Donc d’après vous, pas besoin de toucher aux cotisations salariales ni aux rentes?
La vraie question, c’est comment améliorer les prestations du 2e pilier, comment réparer les mauvais choix qui ont été faits. Et si, éventuellement, on a besoin de plus de financement, il y a des pistes, comme le plafonnement des frais des caisses de pension. C’est un système qui génère chaque année 8 milliards de frais pour quarante milliards de prestations. On pourrait largement gagner deux à trois milliards. Il faudrait aussi mettre fin au scandale qui fait que les banques et les assureurs peuvent verser 10% de leurs bénéfices à leurs actionnaires. Il faut par ailleurs introduire un mécanisme de compensation automatique du renchérissement, pour que les rentes puissent suivre l’évolution du coût de la vie. 

«Hold up», «vol de rentes»: les termes des opposants à LPP 21 ne sont-ils pas trop forts? Est-ce que les caisses de pension s’enrichissent vraiment sur notre dos?
C’est un système très rentable pour l’industrie financière, comme ces 8 milliards de frais le montrent. Sans compter qu’en affaiblissant l’AVS et le 2e pilier, on élargit la part de marché du 3e pilier, qui est très lucratif pour le secteur bancaire, mais très coûteux pour les salariés, car c’est là que le rapport coût-bénéfices est le moins bon. C’est une privatisation rampante de la prévoyance vieillesse. 

Faut-il alors intégrer le 2e pilier à l’AVS pour avoir un contrôle plus démocratique et un système plus solidaire?
Il faudrait déjà corriger les abus du 2e pilier. Mais de manière générale, c’est vrai qu’il vaut mieux renforcer le 1er pilier, car c’est là que le rapport coût-bénéfices est le plus favorable pour l’écrasante majorité des salariés. Pour chaque franc mis dans l’AVS, un salaire médian en récupère 5 à 6. C’est déjà nettement moins avantageux dans le 2e pilier, et encore moins dans le 3e. On a déjà renforcé l’AVS avec la 13e rente, mais il faut aussi soutenir l’initiative du Centre qui veut déplafonner la rente pour couple marié.

N’est-il pas nécessaire d’abaisser le seuil d’entrée au 2e pilier, comme le prévoit la réforme, pour améliorer le niveau de prévoyance des salariés les plus précarisés, notamment des femmes?
Nous étions d’accord sur ce principe, pour aider ceux qui ont temporairement réduit leur taux d’activité, principalement les femmes. Mais nous voulions que ce soit pour améliorer la rente et non pas pour compenser la baisse du taux de conversion. Cela dit, il faut être transparent avec le coût qu’implique cette augmentation du salaire assuré pour les personnes à bas salaire. Avec cette réforme, une personne qui gagne par exemple 30'000 francs par an, et cotise actuellement environ 20 francs par mois, va devoir payer environ 125 francs. Soit une perte nette de 100 francs par mois sur son salaire. C’est cher payé. Or une partie de cet argent servira juste à compenser la baisse du taux de conversion. Et la rente obtenue sera si faible que de toute façon il faudra demander les prestations complémentaires. Donc le revenu à la fin du mois sera le même. On aura juste payé plus.

L’USS affirme que les calculs officiels sur l’impact de la réforme induisent les électeurs en erreur. Qu’ont-ils de faux?
Les calculs faits par l’Office fédéral des assurances sociales, pour voir qui sont les gagnants et les perdants de la réforme, n’ont pas tenu compte du fait que le salaire évolue au cours de la carrière. Or, si on regarde sur la longue durée, on constate que, dans le système qui nous est proposé avec LPP 21, les gens de la classe moyenne, qui ont travaillé toute leur vie et n’ont pas droit aux prestations complémentaires, ont tendance à être moins bien assurés.

Contrairement à ce que dit le Conseil fédéral, l’USS affirme que les retraités actuels seront aussi touchés par la réforme. Pourquoi?
Les rentiers peuvent être indirectement touchés. Certaines caisses auraient enfin de la marge, vu que le système est tellement bien financé, pour indexer les rentes au renchérissement. Cela n’a plus été le cas depuis vingt ans. Mais elles diront qu’elles ne peuvent pas le faire, car elles devront payer les compensations prévues dans LPP 21 pour la génération transitoire durant les quinze premières années.

Les syndicats regrettent que la réforme ne tienne pas compte du travail non rémunéré, surtout effectué par les femmes. Mais celui-ci ne contribue pas au financement du 2e pilier. Comment faire?
Il y aurait une méthode très simple. Dans le compromis que nous avions négocié à la base avec les partenaires sociaux, il était prévu une cotisation de 0,5% sur les hauts salaires, à parts égales entre employés et employeurs, afin de compenser la baisse du taux de conversion. C’était un élément de solidarité. Mais puisque pour nous, il n'est aujourd’hui plus nécessaire de baisser ce taux, on pourrait utiliser cette cotisation pour financer un bonus éducatif par enfant, comme c’est le cas dans l’AVS. On l’avait d’ailleurs proposé dans la réforme, mais les mêmes qui prétendent défendre les intérêts des femmes avec LPP 21 ont refusé, y compris des femmes de droite.

Mais ce compromis a finalement sauté au Parlement…
En effet, la majorité de droite n’a gardé que la baisse du taux de conversion, et pas sa compensation solidaire. Ils veulent que chacun cotise pour lui-même sans que les riches ne soient mis à contribution en aucune façon. Mais l’essence même du système de retraites, c’est de corriger un peu les écarts de salaires. Sinon, on n’aurait jamais inventé l’AVS, et chacun aurait continué à avoir son bas de laine sous son matelas. Ce système est né des leçons de l’Histoire. Tout le monde a compris que si on ne garantit pas un minimum de sécurité sociale, en cas de crise, le peuple est tenté par les extrêmes, comme ce fût le cas avant-guerre avec le fascisme, le nazisme et le stalinisme. Mais depuis trente ans, certains remettent en cause cette solidarité. Et sans surprise, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on voit ressurgir les tentations extrémistes en politique. C’est pour ça qu’il faut être fermes et exiger qu’on arrête de détricoter la sécurité sociale et notamment le système de retraites.


Vidéo : Thierry Porchet

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