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Derrière nos écrans, l'exploitation

Acheter un ordinateur équitable relève toujours de la gageure, comme le confirme une nouvelle étude de deux ONG

Un an après la campagne «High Tech - No rights?» lancée par Pain pour le prochain et Action de Carême, les conditions de travail dans l'industrie informatique en Chine - qui produit un ordinateur sur deux - n'ont guère été améliorées. Voilà le bilan que viennent de tirer les deux œuvres d'entraide dénonçant de nombreux abus dans des usines de fabricants actifs sur le marché suisse.

Halte à l'exploitation! Pain pour le prochain et Action de Carême avaient demandé aux principaux fabricants d'ordinateurs actifs sur le marché suisse - à savoir Dell, Hewlett Packard, Apple, Acer et Fujitsu Siemens - d'agir afin que les droits des travailleurs chinois cessent d'être bafoués. Une requête menée dans le cadre de leur campagne «High Tech-No rights?» et soutenue par nombre de consommateurs ayant adressé des cartes postales aux entreprises concernées. Si quelques progrès ont été enregistrés, ces démarches n'ont toutefois pas débouché sur des changements significatifs.

Abus au menu...
Dans plusieurs usines des marques retenues, les abus demeurent monnaie courante, comme en témoigne l'enquête mandatée par les ONG auprès de plusieurs de leurs fournisseurs. Menée dans sept fabriques au sud de la Chine, cette étude fait notamment toujours état d'horaires interminables - entre 10 à 12 heures par jour, six à sept jours par semaine, sans compter les innombrables heures supplémentaires (80 à 200 par mois) - de contrats de travail inexistants, de sanctions disciplinaires à l'encontre de travailleurs qui ne parviennent pas, par exemple, à maintenir les cadences. La santé des ouvriers est aussi des plus préoccupantes. Des dangers liés à des ventilations insuffisantes dans les salles de soudage, la manipulation de produits toxiques sans masque ni gants, l'obligation de rester debout toute la journée ou encore celle de produire des quotas intenables. Les travailleurs interrogés ont en outre affirmé ne pas avoir connaissance du contenu d'éventuels codes de conduite.

... avec quelques bémols
Seul point positif constaté par les ONG: la question du salaire. Concrètement, le nombre d'usines qui ne paie pas leurs employés selon le salaire minimal légal en vigueur semble avoir baissé. Une situation qui paraît toutefois davantage motivée par la nécessité de lutter contre la pénurie de main-d'œuvre et d'importantes rotations du personnel que par une véritable volonté d'améliorer la politique salariale. Les œuvres d'entraide signalent également des efforts ponctuels sur la question des heures supplémentaires, la remise de copies de contrats de travail ou encore, dans une usine, le renoncement à employer des travailleurs mineurs... Parallèlement à l'enquête menée sur place par un partenaire local indépendant, Pain pour le prochain et Action de Carême ont adressé un questionnaire aux fabricants. Ce dernier portait sur leur politique de responsabilité sociale mise en œuvre au cours de ces quatorze derniers mois. Résultat jugé décevant malgré l'engagement de certaines marques.

50 francs: le prix de l'équité
Si Hewlett Packard a dégagé des ressources humaines et financières substantielles pour l'application de son code de conduite et innove en acceptant de divulguer la liste de ses fournisseurs, Dell ne peut se targuer de progrès concrets. Pas plus que Apple qui, s'il semble avoir mis les bouchées doubles afin d'accroître le contrôle sur sa chaîne de production, se distingue toujours par son opacité. Acer a pour sa part adopté un code de conduite, mais son engagement et sa transparence restent faibles. Quant à Fujitsu Siemens, les ONG notent qu'il est carrément à la traîne. «La firme se contente d'un code de conduite lacunaire et reporte la responsabilité de sa mise en œuvre sur ses fournisseurs.» Pourtant, un ordinateur équitable, estiment les œuvres d'entraide, ne coûterait que 50 francs de plus. «Ce montant supplémentaire permettrait de garantir le minimum vital et une durée de travail raisonnable aux ouvriers», précise Antonio Hautle, directeur d'Action de Carême.

Une Genève exemplaire
Cette majoration de prix n'a pas rebuté Genève qui fait figure d'exemple dans le domaine. C'est en effet la première ville européenne à exiger, pour les marchés publics, une clause sociale de la part des entreprises soumissionnaires. «Les fournisseurs potentiels doivent remplir un formulaire sur leur politique de responsabilité sociale» explique Eric Favre, directeur des systèmes d'information de la ville du bout du lac. Pain pour le prochain et Action de Carême estiment dans tous les cas qu'il est possible de produire des ordinateurs équitables. «Ce qui manque, c'est la volonté des responsables d'œuvrer en faveur de conditions de travail dignes. La balle est désormais dans le camp des grandes marques informatiques.» Sauront-elles la saisir au bond? Les ONG entendent dans tous les cas poursuivre leurs enquêtes sur le terrain et, parallèlement, inciter les collectivités publiques à acheter des ordinateurs dont elles n'auront pas à rougir.

Sonya Mermoud