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Intérimaires des champs

Jean-Claude Margueron peut compter sur l’aide de Maxime Auberson, dépanneur agricole
© Thierry Porchet

Accidenté, Jean-Claude Margueron (à g.) peut compter sur l’aide de Maxime Auberson, dépanneur agricole.

Vacances, accident, épuisement: chez les agriculteurs, nombreuses sont les raisons de prendre une pause, souvent forcée. Pour se faire remplacer, ils font appel à des dépanneurs. Rencontres, dans le canton de Fribourg

«Désolé pour la lenteur, mais je préfère y aller tranquillement, ce serait bête de tomber!» Jean-Claude Margueron descend avec application les quelques marches qui mènent à la cour de sa vieille ferme située à Villangeaux. La matinée est radieuse et l’homme, souriant, malgré son handicap qu’il transporte à grands renforts de béquilles depuis un mois. C’est sur un banc chauffé par le soleil que le quinquagénaire raconte ce jour où son quotidien a basculé. «Je marchais un dimanche en montagne, comme ça m’arrive souvent. Un quad descendait derrière moi et, lorsque je l’ai laissé passer, mon pied s’est coincé dans les pierres. En me retournant, clac!Triple fracture ouverte.» Une première radicale pour ce grand habitué de randonnées en altitude dont la pire blessure ramenée des cimes était jusqu’alors une ampoule au pied. S’ensuivent transport en ambulance, plâtrage d’urgence et une consigne stricte: quatre mois de lit fixe. Au minimum. Philosophe, M. Margueron n’a d’autre choix que d’accepter sa condition… mais pas question de laisser ses bêtes seules ce soir-là. 

Citadins à la rescousse

Contre l’avis des médecins qui lui font signer une décharge, il quitte l’hôpital pour mettre son remplacement en route. «Qui allait traire mes vaches? Le Secada (l’association de dépannage agricole dans le canton de Fribourg, ndlr) n’avait pas de dépanneur disponible ce jour-là. Alors j’ai demandé à mes locataires de le faire à ma place.» En riant, il relate cette situation cocasse: «Le couple à qui je loue l’appartement du dessus fêtait les 26 ans de la fille avec des amis. Tous étaient citadins et n’avaient jamais trait une vache de leur vie. Je leur ai montré comment faire et donner ensuite le lait à boire aux veaux. Eh bien, ils ont été heureux de ce travail inattendu et se sont très bien débrouillés. C’est une chose qui n’arrivera peut-être qu’une fois dans leur vie.» Pendant que des mains novices s’activaient à la tâche, le Secada recherchait un dépanneur. C’est Maxime Auberson qui a répondu à l’appel. Le jeune homme n’est âgé que de 20 ans, mais a déjà quelques remplacements à son actif. «J’ai commencé à en faire le week-end pendant mon apprentissage d’agriculteur, une deuxième formation que j’ai enchaînée après un apprentissage de boucher-charcutier. Je gagnais alors 1500 francs par mois, mais une fois la pension de 900 francs déduite et les factures payées, il ne me restait plus grand-chose. Les dépannages m’ont permis d’arrondir mes fins de mois.» 

Surveillance entre lecture et peinture

Depuis un mois, le jeune agriculteur vient quotidiennement s’occuper des bêtes de M. Margueron. «J’arrive le matin entre 5 et 6 heures, puis je reviens vers 16 heures, ce qui me fait 3 à 4 heures de dépannage par jour. Hier et avant-hier, c’était spécial: on a fauché et fait du regain, ce qui m’a compté 20 heures de boulot. Et sinon, à côté, je travaille dans la boucherie où j’ai fait mon apprentissage.» Ce statut de remplaçant payé à l’heure convient bien à Maxime Auberson qui trouve dans cette activité un revenu provisoire, en attendant l’école de recrue. Et l’avenir, comment le voit-il? «J’aime mes deux métiers, mais l’agriculture, c’est ma passion depuis que je suis enfant. J’ai grandi dans une ferme et j’aimerais à mon tour avoir un domaine et faire du commerce de bétail.» 

Si l’agriculteur accidenté ne se fait pas remplacer à 100% – il peut encore se charger de la surveillance des animaux –, il dispose tout de même de beaucoup de temps libre. Alors, lorsqu’il ne va pas à ses rendez-vous hebdomadaires à l’hôpital, il s’occupe. «La télé, ça fait des années que je ne la regarde plus. Je préfère les livres. D’ailleurs, j’ai déjà pu relire toute ma bibliothèque de récits d’alpinistes, vivants ou décédés.» La montagne, qui l’a vu choir, ne cesse de le fasciner. C’est également elle qu’il peint à l’huile ou à l’acrylique, presque depuis toujours, sans se lasser. Avec une certaine notoriété qui lui a valu d’exposer ses œuvres à deux reprises. Dans son intérieur, une dizaine de toiles ornent les murs, ouvrant des fenêtres sur de lumineuses scènes d’alpages. A le voir si affairé, on se demande si cet accident n’était pas au fond une bulle d’air plutôt bienvenue… L’agriculteur, lui, n’est pas de cet avis! «Je suis quelqu’un qui aime bouger et être libre. Là, je suis forcé de m’arrêter.» Mais quand même, n’a-t-il jamais trop tiré sur la corde? «Bien sûr. Ce métier gagne peu et je me suis même déjà demandé si je n’allais pas tout arrêter. C’est mon amour des bêtes et de la nature qui me retient. Moi, si vous me mettez dans un bureau en ville, à midi, je fous le camp et je suis en haut sur la montagne!»

Natacha Perroud

«Comme une famille»

A une vingtaine de minutes de là, à Sédeilles, vit Natacha Perroud. A 36 ans, la jeune femme a décidé de vivre de dépannages agricoles après avoir exercé les métiers d’horticultrice et de maman au foyer durant une dizaine d’années. Un choix dicté par la passion, toujours et encore: «J’avais besoin de changement et je souffrais de maux de dos. Je sais que l’agriculture ce n’est pas mieux pour mon dos, mais bon, j’aime trop ça!» Commençant par quelques dépannages durant les week-ends, elle a augmenté la fréquence de ses interventions à la suite de sa séparation. «Aujourd’hui, avec un taux d’activité variant entre 60 et 80%, je m’en sors bien. Et comme j’effectue un remplacement de longue durée, ça m’apporte une certaine sécurité.» Une sécurité tant matérielle que pratique: «Les dépannages courts sont plus exigeants, car on doit énormément s’adapter et apprendre très vite.» 

Son quotidien démarre tôt, vers 4 heures. Le travail matinal accompli, elle partage le petit déjeuner avec les paysans qui l’accueillent. «J’adore ce contact avec les gens. Ces agriculteurs que je remplace deviennent presque une famille.» Sa famille à elle, deux enfants en âge scolaire, elle la retrouve pour le repas de midi avant de reprendre le travail vers 16 heures. Heureuse d’exercer cette profession «qui prend aux tripes», elle projette d’effectuer un apprentissage d’agricultrice pour compléter ses connaissances. Pour l’heure, elle exerce ses compétences sur le bétail uniquement, avec un réel souci de bien faire qui traduit un amour des bêtes évident. «Les animaux sont sensibles aux changements. Il faut être attentif au moindre signe de maladie et accepter de parfois se prendre des coups. On travaille avec des êtres vivants qui ne vont pas toujours forcément dans le sens qu’on souhaite. Ce n’est pas facile, mais c’est comme ça!» 


Photos Thierry Porchet

Une profession plus exposée à l’épuisement

Chaque canton possède un système propre de dépannage agricole. A Fribourg, c’est le Secada qui traite les requêtes. Monika Bineau est la gérante de cette association comptant 1158 membres cotisants. «Actuellement, je dispose d’une dizaine de dépanneurs, bien que leur nombre varie régulièrement. Deux sont engagés en contrat à durée indéterminée et les autres travaillent sur appel. Certains sont sur l’alpage en été et disponibles de novembre à avril, ce qui est bien, car les agriculteurs devant se faire opérer le font plus facilement en hiver. D’autres exercent une activité à temps partiel et complètent avec des remplacements. La rémunération s’élève à 25 francs de l’heure, auxquels s’ajoute le défraiement pour les déplacements.» En treize ans d’exercice, elle note deux évolutions majeures: «Par manque de moyens, il y a de moins en moins de monde sur les exploitations. En conséquence, nous recevons plus de demandes. Par contre, nous constatons que les paysans s’accordent plus de congés qu’avant, ce qui est positif.» Des pauses bienvenues dans une profession deux fois plus sujette que la moyenne au burn-out. En 2017, une étude suisse montrait ainsi qu’un agriculteur sur huit était susceptible de souffrir d’épuisement professionnel. 

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