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La solidarité en rayon

Marché éphémère des invendus.
© Olivier Vogelsang

Partager plutôt que gaspiller. Une des bénéficiaires de ce marché éphémère des invendus.

Alors que la pauvreté ne cesse d’augmenter dans nos frontières, l’association Tables du Rhône poursuit sa mission essentielle de redistribution des invendus aux plus précaires. Reportage

Paroisse d’Aigle, un mardi après-midi comme les autres. Chacun à sa tâche, une équipe de bénévoles s’affaire. Les plus costauds déchargent du camion frigorifique les cageots regorgeant de nourriture. A l’intérieur, on s’active au tri et à l’installation sur les étals éphémères des légumes et des fruits, des produits laitiers et carnés, des boissons, desserts et pains divers... Réglée comme du papier à musique, la Table du Rhône d’Aigle se prépare à accueillir, comme chaque semaine, plusieurs dizaines de personnes confrontées à la précarité et invitées à faire gratuitement leurs courses dans ce magasin improvisé. L’Association mère, créée en 2006, a pour credo «partager plutôt que gaspiller». Et s’occupe de récolter les surplus alimentaires auprès de grandes surfaces et autres fournisseurs. Une mission remplie par ses chauffeurs bénévoles chargés d'acheminer aux neuf Tables locales la marchandise. Les bénéficiaires? Les gens dépendant de l’aide sociale et des institutions caritatives agréées du Valais et du Chablais vaudois, dont des organisations actives dans le domaine de l’asile. Responsable de l’antenne d’Aigle, Catherine Gnaegi organise ce marché provisoire particulier. «La viande de porc doit être déposée ici», indique la cheffe d’orchestre à ses acolytes, séparant les vivres. «Il s’agit d’invendus, mais tous sont consommables», précise la retraitée, engagée depuis le début dans cette aventure. Par amour des contacts, qualifiés de très enrichissants, et par empathie avec les destinataires. «On peut très rapidement tomber dans la pauvreté. La frontière est fragile. Un divorce, la perte d’un emploi, un accident...» remarque-t-elle.

Bénévoles au travail.
Mise en place des denrées avant l’ouverture de la Table d’Aigle. Huit bénévoles proposent hebdomadairement leurs services. © Olivier Vogelsang.

 

La précarité pour dénominateur commun

Devant la paroisse, sous un soleil généreux, une file bigarrée de personnes commence à se former, sacs à commissions ou à roulettes à la main. Les langues sont plurielles mais la pauvreté, commune. Aux indigènes se mêlent des Afghans, Syriens, Kurdes… Tous ont reçu, lors de leur dernière venue, un billet mentionnant l’heure à laquelle ils sont attendus. «En raison du Covid-19, nous devons limiter le nombre de présents dans la salle. Par souci d’équité, nous faisons un tournus dans les heures, le choix de provisions étant plus large à l’ouverture de la Table», explique Catherine Gnaegi, précisant encore que les gens ne peuvent pas se servir seuls pour des raisons d’hygiène. Nicole, une bénévole de 79 ans, gère les entrées où trône l’incontournable gel hydroalcoolique. Masquée et protégée par un panneau en plexiglas, elle vérifie la carte délivrée par l’aide sociale que les bénéficiaires sont tenus de présenter. «Ils doivent aussi s’acquitter d’un franc symbolique», souligne cette ancienne enseignante, ajoutant avoir fait du bénévolat toute sa vie. «Je ne peux pas trop porter de marchandises car j’ai mal à l’épaule, mais je ressens le besoin de venir ici. C’est aussi un moyen de me sortir du quotidien. Mon mari souffre du cœur. Quand je ne peux pas participer à la Table, cela me manque.»

Dégringolade...

Linda, une Algérienne de 39 ans mariée et mère de trois jeunes enfants, attend son tour dehors dans un carré d’ombre. Un rendez-vous qu’elle ne rate pas depuis quatre ans. La famille, titulaire d’un permis humanitaire, peine à joindre les deux bouts. «Ces provisions nous permettent de manger trois à quatre jours», évalue Linda qui, épileptique, ne peut pas travailler. «J’aimerais bien pourtant. J’ai récemment été opérée au CHUV», confie la jeune femme, en montrant une cicatrice cachée par se cheveux et, sur son smartphone, des vidéos de ses violentes crises. La réfugiée raconte avoir, dans son pays, été agressée par des terroristes. Une attaque à l’origine de son problème de santé. «J’étais mannequin et j’ai tourné dans des films. Les terroristes n’acceptent pas ce genre d’activité. Ils m’ont frappée à la tête», raconte celle qui fut dans sa patrie reine de beauté au début des années 2000 et actrice. Pas de quoi rendre pour autant aigrie la jeune femme d’une nature positive. Un trait de caractère que «Dieu m’a donné», affirme Linda, qui témoigne encore de sa reconnaissance envers la Suisse. «En Algérie, sans accès à ces soins, je serais déjà morte.» Et la trentenaire, rayonnante malgré les aléas de la vie, de signaler au passage la gentillesse des bénévoles s’occupant de la Table, comme la bonne organisation.

«J’ai tout perdu»

De son côté, Aldo critique néanmoins le fait que les quantités varient et qu’il n’a pas reçu de viande la dernière fois. «Il y a surtout, quand on est seul, des fruits et des légumes, et on a seulement deux jours pour les consommer avant qu’ils ne pourrissent.» Cet homme de 54 ans, ancien chauffeur professionnel, raconte ne plus pouvoir exercer son métier en raison d’une santé qui n’a cessé de se dégrader. «J’ai 28 maux différents. Je souffre d’une maladie neurologique chronique progressive. Pourtant, l’assurance invalidité a déjà refusé à cinq reprises mes demandes. Je suis au social depuis 2018. J’ai tout perdu», soupire l’homme oscillant entre résignation et colère. Catherine, 53 ans, intervient dans la discussion. Si elle juge l’initiative des Tables bonne, elle regrette toutefois, elle aussi, le choix de nourriture limité et, trop souvent, «des yogourts réservés aux familles». «J’apprécie quand même de pouvoir, grâce à cette démarche, économiser une cinquantaine de francs par semaine.» Travaillant autrefois dans un bureau, puis comme femme de ménage et dans une cuisine, la quinquagénaire, syndiquée chez Unia, a récemment eu maille à partir avec son dernier employeur actif dans l’hôtellerie-restauration. «Le contrat a été résilié du jour au lendemain. On m’a dit qu’on n’avait plus besoin de mes services. Je n’ai pas été payée depuis le 27 janvier. Je vais me battre.»

Les ayants droits attendent leur tour.
Covid oblige, la Table accueille au compte-gouttes les ayants droits attendant leur tour à l’extérieur. © Olivier Vogelsang.

 

Une pauvreté en augmentation

La distribution touche à son terme. Des 40 à 48 familles habituelles fréquentant la Table d’Aigle, le chiffre est passé à 56. «Nous constatons clairement un accroissement de la pauvreté de l’ordre de 10%. Beaucoup de travailleurs ont, avec la pandémie, perdu leur job et nous nous attendons encore à une augmentation des personnes en situation de précarité. Nombre de Suisses dans le besoin ne profitent pourtant pas de nos prestations par pudeur. Nous les invitons à oser franchir le pas», indique Bernard Premand, 70 ans, président des Tables du Rhône. En raison de la hausse constatée, l’association cherche à élargir le nombre de fournisseurs. «Nous en comptons deux fois plus qu’au début, mais la quantité de marchandises cédées a diminué en raison d’une optimisation de la gestion de leurs stocks», explique le responsable, chiffrant à quelque 270 tonnes la nourriture distribuée en 2019 pour un montant évalué à quelque 2140300 francs (le rapport 2020 est en cours d’élaboration). Cette année-là, l’Organisation a distribué chaque semaine via ses neuf Tables locales l’équivalent de 8760 repas à destination de 585 adultes et 523 enfants et 1530 repas à 10 institutions sociales. 300 bénévoles, dont une majorité de retraités, ont participé à cette chaîne solidaire. «Ils apprécient les contacts et sont ravis de pouvoir se rendre utiles. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. A mon tour de rendre un peu de ce que j’ai reçu.»

Davantage de démunis

La pauvreté poursuit sa progression en Suisse. Voilà les conclusions d’une enquête menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur les revenus et les conditions de vie, et publiée en février dernier. Selon cette étude, en 2019, 8,7% de la population suisse, soit environ 735000 personnes, vivaient dans la pauvreté. Ce taux a atteint son niveau le plus élevé depuis 2014. Toujours d’après cette même source, 12,2% peinaient à joindre les deux bouts et un Suisse sur cinq se trouvait dans l’incapacité à faire face à une dépense imprévue de 2500 francs en l’espace d’un mois. Alors que 20,7% étaient confrontés à au moins un arriéré de paiement. Le pourcentage de working-poor – soit les personnes travaillant mais ne parvenant pas à subvenir à leurs besoins – s’est chiffré à 4,2%. «Environ 155000 personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté alors même qu’elles exerçaient une activité rémunérée.» La crise sanitaire, indubitablement, va encore aggraver cette situation.

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