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«Que du bonheur!»

portrait de Caroline De Sybourg
© Thierry Porchet

Pour Caroline de Sybourg, le principal défi était de donner à tous le goût d’apprendre. Un défi relevé avec brio et humour, dans le respect des facultés humaines de chacun.

Après 36 ans d’engagement auprès des migrants, Caroline de Sybourg, enseignante de français, a pris sa retraite. Retour sur un parcours qualifié de très enrichissant

La découverte d’autres horizons a toujours attiré Caroline de Sybourg. Une passion concrétisée au quotidien, la Vaudoise ayant consacré sa vie professionnelle à donner des cours d’alphabétisation et de français à un public d’adultes composé essentiellement de migrants. «Comme une amie le relevait, je voulais le monde autour de moi», sourit Caroline de Sybourg qui a pris sa retraite à la fin de l’an dernier, quittant le Centre socioculturel Pôle Sud à Lausanne où elle travaillait comme enseignante et animatrice. Une structure gérée par l’Union syndicale vaudoise. Mais pas de pincements au cœur pour la professeure de 64 ans qui a familiarisé plusieurs milliers de participants à la langue de Molière. Juste de lumineux souvenirs. Et l’envie de s’investir davantage dans des projets comme le théâtre, un art qu’elle pratique déjà. Promesses d’une retraite passionnante après une immersion dans un microcosme haut en couleur, miroir des flux migratoires et bouillonnant creuset de cultures.

Main-d’œuvre exploitée...

L’aventure pour Caroline de Sybourg, spécialisée dans la formation d’adultes, commence dans les années 1980. Parmi ses premiers élèves alors, des Italiens qui suivent des cours d’alphabétisation dans leur langue, désireux de retourner au pays après différentes initiatives xénophobes – dont celle de Schwarzenbach – visant à limiter le nombre d’étrangers dans nos frontières. Mais aussi des Suisses qui séparés, enfants, de leur famille, n’ont pas bénéficié d’une scolarisation normale. «Sous couvert de les placer dans des pensionnats, on utilisait ces jeunes comme main-d’œuvre bon marché. On les exploitait», raconte la retraitée. En 1995, le Service de l’emploi décide de subventionner les cours en faveur des chômeurs étrangers. L’enseignante accueille à cette époque dans ses classes nombre de sans-emplois qui, manutentionnaires, ont été victimes des avancées technologiques. «Plusieurs d’entre eux devaient apprendre à lire et à écrire. Ils avaient surtout travaillé dans les champs, d’abord avec des statuts de saisonniers, avant d’obtenir des permis B et C, et n’avaient pas de qualifications», se souvient la sexagénaire qui relèvera aussi les difficultés rencontrées avec des participants asiatiques ou de langue arabe en raison de l’alphabet latin.

Un chameau plutôt qu’une voiture

Les crises économiques, humanitaires, les guerres généreront chacune leur lot de migrants. Tibétains, Bengalis, Kurdes de Turquie, natifs d’ex-Yougoslavie, du Maghreb... L’enseignante va côtoyer un grand nombre de nationalités. Et des élèves de niveaux très différents entre ceux n’ayant jamais eu accès à une scolarisation – dont une majorité de femmes – à d’autres hautement qualifiés; notamment des Italiens et des Grecs arrivés dans les années 2000. Principal défi que doit relever Caroline de Sybourg? Donner à tous le goût d’apprendre. Pas toujours évident... «Certains, âgés entre 40 et 60 ans, vivaient en Suisse depuis longtemps. En raison des conflits dans leur pays, ils n’avaient fréquenté qu’occasionnellement l’école. Il fallait les motiver. Ils estimaient le français trop difficile, surtout découragés par leur contact avec l’administratif...» En soutien à la démarche de la professeure, une méthode spécifique, basée sur la «chronologie des apprentissages et les facultés humaines de chaque participant». Et un outil bien personnel: l’humour. Tout en adaptant le programme aux difficultés des uns et des autres et en l’intégrant dans le quotidien. Avec parfois d’amusantes surprises. Questionné sur sa possession ou non d’une voiture, un Egyptien avait répondu: «Je n’ai pas de véhicule de luxe, mais un chameau. C’est beaucoup mieux.» «J’étais restée pantoise. Il a alors expliqué que l’animal lui manquait. Cet enseignement, ce n’était que du bonheur. Du plaisir. Des fous rires partagés. Je peux affirmer que 99,5% des personnes que j’ai formées se sont révélées adorables, touchantes. Un travail très positif.»

Même pansement pour tous

La personnalité ouverte et généreuse de Caroline de Sybourg aura aussi largement contribué à créer une bonne ambiance, attentive à ce que chacun se sente à l’aise dans ses cours, qu’aucune animosité ne s’installe. Notamment lorsqu’une classe rassemblait des «ethnies ennemies». «A l’heure de la pause, j’avais ainsi exigé que l’on continue à s’exprimer en français, insistant sur l’importance de la langue du pays d’accueil, comparée à un pansement sur un blessé. Un pansement identique pour tous. Il fallait éviter que le ton monte entre par exemple des Serbes, des Kosovars, des Croates et des Bosniaques. Les rivalités restaient aux vestiaires.» Une approche qui a généré aussi des liens d’amitié inattendus. Comme, se rappelle la retraitée parmi tant d’autres relations nouées, celle entre un Polonais ayant fui le régime communiste et un Chilien se réclamant de cette appartenance politique.

«Ce travail s’est révélé très enrichissant. J’ai beaucoup appris sur les différentes cultures, les relations humaines, les personnalités. Et jamais je ne me suis avouée vaincue devant les difficultés d’apprentissage. Dans le monde de l’humain, il n’y a pas de frontières. Que des ponts. Les ponts, ce sont la manière d’enseigner et une place offerte à chacun.»

 

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