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«Israël pratique un régime d’apartheid»

Le mur de séparation
© DR

Bâti depuis 2002 part l'Etat hébreu, le mur de séparation s'étire aujourd'hui sur plus de 500 kilomètres. Sur la plus longue partie de son parcours, cette barrière n'est qu'une haute clôture, mais dans les zones urbaines, elle est constituée de pans de béton hauts de sept à dix mètres.

Les amis des Palestiniens vont lancer une nouvelle campagne de solidarité, "Apartheid Free Zones". Unia Genève soutient cette initiative inspirée de la lutte de l’Afrique du Sud

Les amis du peuple palestinien s’apprêtent à lancer une nouvelle campagne de solidarité, «Apartheid Free Zones» (lire ci-dessous). Dans une situation catastrophique, les Palestiniens ont plus que jamais besoin d’un soutien international, explique Mary Honderich, l’une des chevilles ouvrières de la démarche à Genève. Interview.


Avec les événements des derniers mois, on a un peu oublié les Palestiniens. Quelle est la situation économique et sociale aujourd’hui en Palestine?

Catastrophique. En Cisjordanie, plus de 70 ans d’une occupation caractérisée par une expropriation massive des terres, la colonisation et le mur d’apartheid ont détruit l’économie. Le taux de chômage est de 25%, les femmes et les jeunes étant les plus touchés. A Gaza, soumis à un blocus depuis 13 ans, le chômage atteint 60%. Des experts de l’ONU estiment que Gaza sera invivable d’ici à quinze ans.

Dans les Territoires palestiniens occupés (TPO), la politique israélienne poursuit deux buts: d’une part, accaparer le plus possible de terres et de ressources naturelles, en particulier l’eau, en chassant les Palestiniens de leurs sols et de leurs villages et, d’autre part, implanter le plus possible de colons sur cette terre volée. Actuellement, il y a plus de 650000 colons établis illégalement sur le territoire. L’économie locale étant étranglée, les travailleurs palestiniens deviennent de fait une main-d’œuvre bon marché, corvéable à merci et condamnée à acheter des produits israéliens.

Comment font-ils pour survivre?

Aujourd'hui, environ 100000 Palestiniens travaillent en Israël, en grande partie dans la construction. Il faut ajouter à cela environ 20000 travailleurs clandestins qui ne figurent pas dans des statistiques officielles. Les permis de travail, s’ils peuvent en obtenir un, sont émis au nom de l’employeur qui peut ainsi exercer des pressions sur les salaires et les conditions de travail. Ce n’est pas sans rappeler à certains égards le statut des saisonniers dont le permis dépendait de la volonté de leur employeur, que nous avons connu en Suisse. Environ 40% des travailleurs palestiniens doivent passer par des intermédiaires pour obtenir ce permis. En contrepartie, ces derniers prélèvent un pourcentage sur leurs salaires. Et tous doivent se lever avant l’aube pour faire la queue aux postes de contrôle pour se rendre à leur travail.

D’après la loi du travail israélienne, les travailleurs palestiniens devraient bénéficier des mêmes salaires et des mêmes assurances maladie et accidents que les Israéliens. Ils cotisent d’ailleurs pour leur retraite, 10% de leurs salaires sont prélevés et versés dans un fonds de pension géré par une agence gouvernementale. Cet argent de la prévoyance sociale devrait être reversé à une agence palestinienne, mais le Gouvernement israélien le garde comme une sorte de rançon. Les travailleurs palestiniens ne perçoivent donc aucune prévoyance sociale ni remboursement. C’est un vol pur et simple de plusieurs milliards de francs. Le Bureau international du travail dénonce cette situation depuis des années.

A cela, il faut ajouter environ 30000 Palestiniens qui, n’ayant pas d’autres possibilités, travaillent dans la construction et l’agriculture des colonies établies illégalement dans les TPO. Bien que la loi du travail israélienne s’applique là aussi, les conditions de travail des Palestiniens sont désastreuses. Il n’y a pas de salaire minimum, pas d’assurance maladie ou accidents. C’est un déni des droits élémentaires de ces travailleurs qui ne reçoivent souvent que 8 francs pour une journée de travail dans les champs. De plus, on estime qu’un millier d’enfants de moins de 16 ans travaillent dans l’agriculture.

Les syndicats ne peuvent-ils pas intervenir?

D’une part, la grande centrale syndicale israélienne Histadrout est aussi l’un des plus grands employeurs en Israël même. Elle donne la préférence aux travailleurs hébreux, excluant ainsi 20% de la population*. D’autre part, alors que Histadrout refuse de syndiquer et de défendre les travailleurs palestiniens des TPO, elle prélève néanmoins 1% de leurs salaires pour «frais de fonctionnement» sans aucune contrepartie de leur part. C’est l’équivalent de la contribution professionnelle connue notamment dans les métiers du bâtiment en Suisse. Les syndicats palestiniens, eux, ne peuvent pas agir en Israël, ni dans les colonies des TPO. Cependant, il y a plusieurs associations israéliennes, dont Kav LaOved, qui défendent les travailleurs victimes de la discrimination raciste en Israël, soit les Palestiniens citoyens d’Israël et des TPO, les immigrés et les réfugiés. Elles font un travail admirable, mais c’est une tâche titanesque, et n’ont que peu de moyens.

La situation des travailleurs palestiniens reflète un système global où un groupe opprime un deuxième groupe de manière systématique et institutionnalisée dans le but de maintenir cette oppression. C’est la définition même de l’apartheid. Si l’apartheid était inacceptable en Afrique du Sud au XXe siècle, il est toujours aussi inacceptable et intolérable aujourd’hui en Israël. La Coalition des syndicats palestiniens demande de l’aide au nom de la solidarité internationale des travailleurs pour mettre fin à ce régime d’apartheid.

Palestiniens faisant la file à un poste de contrôle avant l'aube.
Environ 120000 Palestiniens travaillent en Israël. Ils doivent se lever avant l'aube pour faire la queue aux postes de contrôle israéliens. © DR

*Selon le dernier rapport de la mission annuelle du Bureau international du travail en Israël et dans les TPO, Histadrout aurait «modifié ses statuts de manière que les travailleurs palestiniens exerçant en Israël soient maintenant habilités à devenir membres à part entière» (ndlr).

«Un parallèle évident avec l’Afrique du Sud»

Après la campagne «Boycott – Désinvestissement – Sanctions» (BDS), les amis des Palestiniens préparent une nouvelle initiative, «Apartheid Free Zones». Inspirée de la lutte anti-apartheid de l’Afrique du Sud, la démarche aborde cette fois la question palestinienne sous l’angle de la dénonciation d’une forme de racisme institutionnalisé. Une déclaration engage ses signataires à le condamner et à ne pas s’en montrer complices en refusant de coopérer avec des entreprises et des institutions qui contribuent à sa préservation. En Suisse, l’initiative, qui devrait être officiellement lancée dans le courant du mois de mars, se développe pour le moment dans les cantons de Berne et de Genève. Au bout du lac, une quarantaine d’organisations l’ont déjà signée. Le comité régional d’Unia Genève a ainsi décidé d’apposer la signature du syndicat. De même que le Centre Europe – Tiers Monde (Cetim). «Nous pensons que la solidarité envers la question palestinienne devrait être prioritaire pour toute organisation qui porte des idéaux d’égalité et de justice», explique le directeur du Cetim, Melik Özden. Mais existe-t-il vraiment un régime d’apartheid en Israël et peut-on raisonnablement comparer cet Etat à l’ancien régime sud-africain? «Si nous analysons le régime d’occupation imposé par Israël dans les territoires occupés à la lumière des définitions du terme d’apartheid telles qu’énoncées par l’ONU dans la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid et par la Cour pénale internationale, le crime d’apartheid perpétré par les forces d’occupation israéliennes est sans équivoque», répond le responsable de l’ONG. En 2017, une commission de l’ONU était arrivée à la même conclusion, mais son rapport avait été retiré sous pression américano-israélienne. «En Palestine, l’apartheid est constatable par la nature du régime d’occupation militaire, avec la construction du mur de séparation, les check-points, la guerre et la répression contre le peuple palestinien. Ce système raciste et belliciste permet, entre autres, l’expropriation des terres, la démolition de villages et de maisons palestiniennes, le détournement des ressources naturelles en faveur des colonies israéliennes ou l’impossibilité pour les Palestiniens d’accéder aux terres.» En Israël même, les Palestiniens font face à des obstacles administratifs et légaux qui les relèguent au statut de «citoyens de seconde zone». «Selon la loi israélienne, un Palestinien jouit de moins de droits qu’un Juif. La loi sur la propriété territoriale par exemple atteste que la terre d’Israël n’appartient qu’au peuple juif. Les Palestiniens d’Israël n’ont pas le droit d’acheter ou d’échanger des terres.» Pour Melik Özden, ces politiques discriminatoires s’inscrivent dans un «plan de nettoyage ethnique de la Palestine» et il existe donc bel et bien «un parallèle évident entre la situation en Palestine et l'apartheid en Afrique du Sud, puisque la situation découle des mêmes racines et des mêmes motivations». Il espère que l’initiative «Apartheid Free Zones» sera plus visible que la campagne BDS et qu’elle pourra ainsi dégager des «résultats positifs en faveur de la lutte existentielle du peuple palestinien». «Un magasin, une commune ou un individu peut adhérer à cette campagne, autant sur le plan moral qu’en bannissant de ses achats des produits fabriqués dans des territoires occupés illégalement.»

Déclaration et infos sur: apartheidfree.ch