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Lectures bédéesques et militantes

Couverture de Les reflets du monde - en lutte.
© Editions Delcourt, 2022/Toulmé

"Les reflets du monde - En lutte" de Fabien Toulmé, "Dans la boîte" de Lénaïc Vilain et "Intraitable" de Choi Kyu-sok, trois bandes dessinées à découvrir cet été


CouvertureLuttes citoyennes à travers la planète

Dans ce premier opus des Reflets du monde, l’auteur de bandes dessinées français Fabien Toulmé se penche sur trois histoires de citoyens – ou plutôt de citoyennes – en lutte. Des reportages touchants, du Liban au Bénin en passant par le Brésil, accompagnés d’une véritable réflexion sur le pourquoi du comment du militantisme

En novembre 2019, l’auteur Fabien Toulmé est de passage à Beyrouth dans le cadre de son travail de bédéiste. Il se retrouve plongé dans la Thawra, une révolution qui a vu défiler dans les rues des centaines de milliers de Libanais contre la corruption de leurs dirigeants. Pour mieux comprendre les événements, il part à la rencontre de plusieurs acteurs et témoins, et notamment de Nidal, une jeune militante féministe. Cette figure de proue du mouvement va dès lors amener le Français à déchiffrer toute la complexité de cette lutte citoyenne. Un premier reportage de terrain qui le poussera à en envisager d’autres. Et notamment au Brésil, dans la petite ville de João Pessoa, où une association de femmes se bat contre l’expulsion programmée par la mairie de tout un quartier populaire; cela dans une logique de gentrification. Pour se terminer au Bénin, à la rencontre de Chanceline, une activiste pour les droits des femmes, très impliquée notamment dans la prévention des grossesses précoces chez les jeunes.

«Pour ce premier recueil, je me suis intéressé aux luttes, explique Fabien Toulmé dans l’avant-propos de son ouvrage, luttes citoyennes, celles menées par des peuples et des quartiers, des individus avec comme point commun la revendication de plus de droits et la résistance militante à diverses formes d’oppressions. Le choix de cette thématique résulte aussi bien du contexte que du hasard. Pour ce qui est du contexte, notre époque est traversée depuis quelques années par une vague de soulèvements populaires qui m’a fait m’interroger sur le pourquoi, le comment et le qui

De véritables reportages

Auteur de la série de bandes dessinées L’Odyssée d’Hakim, témoignage d’un réfugié syrien en exil (voir L’Evénement syndical du 4 novembre 2020), Fabien Toulmé revient avec un nouvel ouvrage engagé. Véritables reportages, ses trois récits poignants allient des témoignages de la population à des parenthèses historiques et politiques permettant de mieux comprendre le contexte des événements. Les interventions d’un sociologue spécialiste des questions de lutte et de militantisme viennent par ailleurs donner une dimension scientifique, accessible à tous, à ces histoires humaines. En analysant notamment la place qu’y occupent les femmes.

Si la formule du reportage peut sembler surprenante et hybride pour une bande dessinée, le résultat apparaît parfaitement cohérent et absolument passionnant. Grâce à une certaine densité – près de 350 pages – la trame narrative évite les résumés grossiers tout en restant simple et instructive. Le tout faisant preuve par ailleurs d’un certain humour et mis en valeur par des dessins clairs et rigoureux. Une lecture estivale, militante et réjouissante!

Fabien Toulmé, Les reflets du monde – En lutte, Editions Delcourt, 2022.

Extrait.
© Editions Delcourt, 2022/Toulmé

Couverture.Dans les coulisses du commerce en ligne

Dans un bref mais efficace récit intitulé Dans la boîte, Lénaïc Vilain raconte son expérience de préparateur de commandes chez Zamazon, le leader du commerce en ligne. Témoignage autobiographique et humoristique d’un environnement de travail cynique entre décontraction et autorité

Lénaïc, auteur de bandes dessinées français multipliant les petits jobs, accepte un nouveau travail en CDD: packer («emballeur») ou préparateur de commandes chez le leader du commerce en ligne Zamazon – toute ressemblance avec une entreprise existante semble purement préméditée! Dans les locaux démesurés de la société à l’ambiance très amerloque, le jeune homme devient un «Zamazonien» muni de son indispensable badge et de ses chaussures de sécurité. Après une formation éclair, c’est le grand saut et la préparation du premier colis. Dans sa cabine de travail: un ordinateur, un scanner, du matériel d’emballage... L’écran dicte la marche à suivre, le carton à utiliser, le numéro des produits de la commande préparée par les associates («partenaires»). On scanne, on rescanne à tire-larigot, on ajoute le papier bulle nécessaire, on ferme le colis, on l’étiquette et c’est parti… Ou plutôt, ça recommence infiniment jusqu’à la fin de la journée. Un gel douche, un tournevis cruciforme, une ampoule, etc., Lénaïc est ainsi témoin de l’aberration que représente ce modèle de (sur)consommation en ligne. Mais attention, car son badge personnel est au courant de ses moindres faits et gestes. Trop lent dans la préparation des commandes? On le dégrade dans une autre partie de l’entrepôt. Il utilise trop de papier bulle? On l’invite à penser à la planète. L’ordinateur va même jusqu’à lui indiquer quand il doit effectuer des micropauses de 30 secondes avec, au choix, une activité physique ou mentale imposée… Tout cela dans le contexte pandémique avec ses distanciations sociales nécessaires régulées par les safety angels («anges gardiens»), rien que ça…

Convivial en apparence

Bande dessinée autobiographique, Dans la boîte excelle dans sa représentation de ces multinationales, conviviales en apparence, où tout un chacun se gargarise d’anglicismes vides de sens. Un langage qui vient surtout créer un espace de travail très régressif et infantilisant dans ces sociétés qui, sous couvert d’une hiérarchie qui se dit horizontale et d’une ambiance faussement sympathique, mettent en place en réalité un système de surveillance absolue et punitif des collaborateurs. Un procédé qui vise notamment à encourager la délation entre collègues, tout en rappelant continuellement que chacun est sous la menace d’une non-reconduction de son CDD.

En dessinant le récit de sa propre expérience, Lénaïc Vilain élabore un ouvrage parfaitement réaliste et crédible, tout en faisant preuve d’un humour caustique. Affichant également une certaine autodérision, Dans la boîte est une bande dessinée dont la fraîcheur n’a d’égal que la gravité du monde du travail qu’elle dépeint.

Lénaïc Vilain, Dans la boîte, Editions Delcourt, 2022.

Extrait.
© Editions Delcourt, 2022/Vilain

Couverture.Saga syndicale en Corée du Sud

Au début des années 2000, la crise financière et économique marque profondément la société sud-coréenne. Dans ce contexte douloureux, un militant syndical, idéaliste et pragmatique, le charismatique Gu Go-shin, mène des combats difficiles mais nécessaires au sein d’une petite agence-conseil de défense des travailleurs. Son chemin croise celui d’un jeune cadre d’une grande droiture, Lee Su-in, ancien militaire révolté par les pratiques de son employeur, un géant français de la grande distribution implanté en Corée du Sud. Ensemble, ils se battent pour la création d’une section syndicale dans l’entreprise.

Dans ce cinquième tome sorti récemment, le conflit tourne au drame, à la suite de la mort d’un employé fragilisé qui s’est immolé par le feu. Désormais, tout est en place pour que la confrontation se radicalise entre la direction du groupe et les salariés révoltés. Longtemps repoussée, la grève semble à présent inévitable.

Récit de luttes syndicales au quotidien, Intraitable revisite, par le biais de la fiction, l’histoire de l’implantation de Carrefour en Corée du Sud. Une saga en six volumes, dont la publication du dernier tome est prévue, en français, pour cet automne.

Choi Kyu-sok, Intraitable, tome 5, Editions Rue de l’échiquier, 2022.