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Les élections vaudoises et leur vide articulaire

Le résultat des élections vaudoises au Conseil d’Etat organisées ce dernier week-end conduit nécessairement l’observateur dans les registres du commentaire désabusé voire cynique.

Prenez d’abord, dans la situation qui précède ces élections, un gouvernement notoirement efficace et fonctionnel. En fonction de quoi? De ses individualités non seulement compétentes et vérifiées comme telles, mais aptes à l’échange pouvant dépasser leurs positions partisanes originelles, et d’une représentation partisane stable au-delà des législatures – en l’occurrence en faveur de la gauche.

Et voyez ensuite, dans la situation qui succède à ses élections, un gouvernement partiellement renouvelé, composé de quelques individualités compétentes et sans doute aptes au type d’échange transpartisan évoqué tout à l’heure, nous le verrons bien ou nous ne le verrons pas – mais cette fois-ci majoritairement de droite.

Et quelle charnière s’est-elle manifestée pour induire et lubrifier dans les urnes ce basculement? Une candidate d’une formation justement nommée le Centre, comme on sait, c’est-à-dire présentant l’intérêt principal d’être défini par sa posture à mi-distance des opinions claires et nettes.

Il fut d’ailleurs sidérant, dimanche soir au terme du processus électoral, de découvrir l’incarnation de ce rien mental ayant constitué le pivot nécessaire. Fêtée par son aile droite qu’elle venait de concourir à ressusciter, et célébrée par la presse pouvant régaler son auditoire d’un phénomène inédit dans l’espace politique, Valérie Dittli (c’est son nom), inconnue sur la scène publique voici quelques mois, privée de la moindre expérience ayant pu faire impression dans le domaine professionnel et politique, commençait d’exister sans avoir besoin de formuler le moindre discours substantiel – hors une profession de foi climatique préventivement tout-terrain.

Les images de cette soirée dominicale resteront d’ailleurs comme l’illustration d’un parrainage incessant, par ses pairs élus simultanément au Collège, de notre Valérie en elle-même imperceptible au sens littéral. D’un parrainage physique personnalisé, puisqu’elle n’apparut qu’au bras ou dans les bras de ses amis de droite, et d’un parrainage collectif qui se répandit en sourires soit triomphants soit forcés, exactement comme au sein des familles en bisbille accueillant leurs nouveau-nés.

On en était restés jusqu’ici, dans notre Suisse belle et finaude qu’on pourrait même qualifier de tordue comme on parle du velours côtelé, à deux types de discours récurrents. Le premier, c’est celui façonné par le surmoi protestant qui détermine sous nos latitudes le gros de l’exercice de la politique, y compris dans les régions qui révèrent le pape. Et le second, marqué par une mentalité qu’on peut rapporter à la perspective catholique, c’est celui qu’on repère dans la publicité produite par nos grandes entreprises industrielles ou commerciales.

Pour remercier ses soutiens et proclamer ses intentions programmatiques, tout politicien suisse nouvellement élu se concentre en effet nécessairement sur les registres de la vertu laborieuse et fraternelle. Il s’agit, durant les énoncés à prononcer sur les tribunes médiatiques ou parlementaires comme d’autres se postent en chaire, de convaincre le plus sérieusement possible. En vantant la convergence des objectifs qu’il convient d’assigner à la politique et à l’économie, et la splendeur des mécanismes solidaires au sein du peuple.

Et la production catholique, c’est celle qu’on trouve comme on dit dans le commerce. Pour les entreprises industrielles ou commerciales, il s’agit d’activer dans le public un surmoi catholique qui les incite à l’extraversion dépensière. Voyez les CFF, par exemple, qui vantèrent naguère à longueur d’affiches posées dans leurs gares ou dans les villes du pays les «Plaisirs de la nature testés pour vous par Sergio, Benoît et Beat». Un langage visant à séduire. Dans ce cas les CFF ne promouvaient pas ce qu’ils sont capables d’offrir à leurs usagers en termes de confort ou de rapidité, ni ce que ces usagers pourraient connaître en matière de prix, mais ce qu’ils peuvent rêver de s’offrir dans le cadre des prestations fournies.

Voici donc qu’apparaît donc aujourd’hui, dans le paysage doucement schizophrénique à deux pans qui divise de vieille date le paysage de nos discours et de nos obédiences, le concept du vide articulaire paratransgenre apparemment nécessaire au sein des collèges exécutifs pour favoriser leurs mues identitaires successives. On s’en amusera cinq ans, merci les troupes…