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Une guerre contre le peuple ukrainien

Dans son courrier publié le 27 juillet dans ces colonnes, l’ancien conseiller national socialiste Pierre Aguet défend l’idée que les Européens et les Ukrainiens mènent une guerre au service des Etats-Unis, qui ont de «terribles responsabilités» dans ce conflit. Cette vision pour le moins unilatérale reprend en fait un argumentaire déjà développé dans les colonnes du journal Le Courrier du 27 juin, par Jérôme Gygax, sous le titre «Une proxy war sur le dos de l’Europe?». Mêmes auteurs cités, mêmes citations et même erreur concernant la fonction de Christopher Caldwell, qui n’est pas éditorialiste au New York Times, mais simplement un invité donnant son opinion.

Loin de moi l’idée de nier les crimes de l’impérialisme américain, avec ou sans la participation de l’OTAN, que mentionne Pierre Aguet. Son approche donne toutefois aux Etats-Unis une cohérence politique et des marges de manœuvre qu’ils n’ont pas toujours eues. Ainsi début novembre 2021, le président français Macron jugeait l’OTAN en état de «mort cérébrale». Comment cette situation aurait-elle correspondu au plan de suprématie absolue développé par Brzezinski en 1997? Et comment Pierre Aguet explique-t-il que l’élargissement de l’OTAN en Europe de l’Est ait été souhaité non seulement par une bonne partie des anciennes élites «soviétisées», mais aussi par de larges franges de l’opinion? Tous ces gens-là auraient-ils eu des doutes quant à la fraternité désintéressée de l’ex-grand frère soviétique?

Au-delà de cette surestimation de l’implacable domination de la superpuissance américaine, Pierre Aguet oublie à mes yeux deux choses.

D’une part, l’impérialisme américain, malgré sa force militaire, est sur le déclin et se voit contester son rôle, par la Chine évidemment, mais aussi par la Russie. Deux pays eux aussi impérialistes, dont l’action façonne un monde désormais bien plus multipolaire que lors de la guerre froide, qui semble être la grille de lecture de Pierre Aguet.

D’autre part, sa contribution enferme le peuple ukrainien (qu’il ne mentionne pas) dans une impasse totale: soit périr «jusqu’à la vie du dernier Ukrainien» au service de Washington, soit se soumettre aux ukases de Moscou, pour qui, je le rappelle, ce peuple n’existe pas. Autrement dit, cette société est priée de bien vouloir retourner au néant historique.

Actuellement, des dizaines de milliers d’obus et de missiles s’abattent chaque jour sur le territoire de l’Ukraine et sur ses habitants, principalement des civils. Ces obus ne portent pas le sceau du pygargue à tête blanche des armoiries US, mais bien celui de l’aigle bicéphale de la Fédération de Russie qui fut aussi celui de l’Empire des tsars.

Il serait bon d’en tenir compte dans nos analyses, si nous voulons vraiment faire progresser la réflexion de la gauche face à la guerre en Ukraine.

Daniel Süri, membre du Comité de solidarité avec le peuple ukrainien et avec les opposants russes à la guerre