Adieu veaux, vaches, cochons...
Mardi 12 décembre 2006
Licenciés au 31 décembre, des employés de l'entreprise Del Maître témoignent
En septembre dernier, Del Maître à Genève a licencié ses 132 collaborateurs avant de proposer de les réengager à des conditions revues à la baisse. Parallèlement, l'entreprise a dénoncé la convention collective de travail la liant à Unia et au Sit et a imposé à ses employés un nouveau partenaire social, l'Association suisse du personnel de la boucherie. Autant de changements inacceptables et pour les travailleurs et pour les deux syndicats qui, faisant front commun, ont organisé des débrayages et saisi les autorités genevoises.
Tristounettes: voilà comment s'annoncent les fêtes de fin d'année pour Pascal, Graça, Candida, Khemissa ou encore Fatima. Et pour cause, à l'image de nombre de collaborateurs de l'entreprise Del Maître, ces derniers seront bientôt au chômage. Licenciés en septembre dernier comme tous leurs collègues, ils ont en effet refusé de signer un contrat de réembauche revu à la baisse. Un contrat négocié en secret par la société avec l'Association suisse du personnel de la boucherie, partenaire «social» au demeurant inconnu du personnel. En agissant de la sorte, Pascal, Graça, Candida, Khemissa, Fatima et tant d'autres ont non seulement manifesté leur opposition à des conditions de travail inacceptables mais aussi affiché leur désaccord avec la manière de procéder de Del Maître qui a voulu leur imposer l'interlocuteur de son choix. Au mépris de la loi.
«C'est du Zola»
Accueilli dans les bureaux d'Unia Genève, le petit groupe est venu s'informer de la suite des opérations. Il agira aussi comme relais auprès des autres travailleurs, les syndicats s'étant vu interdire tout accès à l'usine. Responsable du dossier pour Unia, Ana-Bel Martinez fait le point de la situation. Elle rappelle dans la foulée les différends rencontrés dans le passé avec Del Maître, propriété des Laiteries réunies: mise à la porte du délégué syndical, menaces de licenciement d'une trentaine de personnes, problèmes de harcèlement... L'entreprise est bien connue d'Unia. Le feuilleton continue. «C'est du Zola», dira-t-elle pour faire court avant d'enchaîner sur les préoccupations du jour. «Afin d'éviter une pénalisation du chômage, nous devrons aller aux prud'hommes. Dans l'idéal, il faudrait qu'une quinzaine de personnes soient acquises à cette idée. Ce nombre sera suffisant pour mener une action collective plus percutante que des démarches individuelles.» Murmures approbateurs. Tous signent une procuration permettant à la syndicaliste d'aller de l'avant et promettent, exemplaires supplémentaires glissés dans le sac, d'en distribuer aux collègues. «Ce n'est pas normal ce que Del Maître est en train de nous faire» s'exclame Candida en rendant sa copie. «On va y aller aux prud'hommes. C'est sûr.»
Flexibilité impossible
Les collègues acquiescent. Tous en ont gros sur le cœur. Comment auraient-ils pu en effet accepter la proposition de réembauche de leur patron qui stipule notamment, pour le personnel d'exploitation, des horaires de travail flexible entre... 5 heures du matin et 21 heures! «Impossible! On a des enfants. Qui s'en occupera?» questionne l'une des femmes. Autre problème soulevé: les transports publics qui ne desservent pas la zone à ces heures. «Le dernier bus part à 19 heures», affirme, dépitée, Khemissa qui n'a ni voiture ni permis de conduire et compte sur la solidarité de collègues motorisées. «Quand je finis tard, c'est mon mari qui vient me chercher» relève Candida qui, avec ses 11 ans d'activité à la boucherie, se souvient de l'heureuse époque où une navette assurait les déplacements du personnel.
Traité de fonctionnaire...
Le passage à la semaine de 43 heures comme la suppression de la pause payée prévus dans le nouveau contrat suscitent aussi des commentaires acerbes. «On nous demande de travailler plus pour un salaire identique: 3600 francs brut par mois», s'indigne Candida qui évoque encore la question des heures supplémentaires «non obligatoires mais largement recommandées». De quoi faire réagir ses compagnons d'infortune, ayant aussi été confrontés au problème de manière récurrente. «Il m'est arrivé de quitter l'entreprise à minuit», lance Pascal. «Il y a deux ans, j'avais 250 heures en plus!», renchérit le jeune homme de 28 ans qui, responsable d'une équipe, refuse désormais de dépasser la durée de travail réglementaire. «Le patron me traite aujourd'hui de fonctionnaire. Il dit que je suis négatif», note-t-il encore, de l'amertume dans la voix.
Pas de récompenses
Si tous ont été souvent appelés à prolonger les journées, ils n'ont pas vu leurs efforts récompensés pour autant. «Depuis quelques années, les heures supplémentaires ne sont plus payées. Nous devons les compenser en congé.» Et là encore, le bât blesse, les récupérations étant généralement décidées par le patron, à la dernière minute, en fonction du volume de travail. «Il nous dira par exemple de quitter quelques heures plus tôt le boulot, ou de prendre notre après-midi.» Bonjour pour s'organiser et profiter de ce temps libre... Quant aux collaborateurs ne bénéficiant pas de marge, ils se retrouveront avec des heures en négatif. Autant de facteurs qui pèsent lourdement sur un emploi à la chaîne exigeant.
Ambiance tendue
Les quatre femmes présentes chez Unia font partie des employés de la «salle blanche». Vêtues de combinaisons sanitaires spéciales, elles gèrent des machines - leur maîtrise réclame un à trois mois de formation, selon leur complexité - servant à découper la viande avant que celle-ci ne soit mise en barquettes, emballée et étiquetée. Les variations de température dans le sas, le bruit mais surtout la nécessité de garder le rythme rendent la tâche plutôt pénible. Les ouvrières ne se plaignent toutefois pas de la nature de leur job mais de l'ambiance actuelle. «Avant, on bossait aussi dur mais on rigolait bien. Maintenant c'est tendu. Le chef est sec et toujours sur le dos des gens quand il ne les rabaisse pas», lance l'une d'entre elles. Fatima raconte pour sa part comment, bien qu'enceinte, la direction lui a demandé d'accepter son licenciement et de signer le nouveau contrat avant de faire marche arrière. «La loi, c'est la loi», lance la future mère de 29 ans qui, conformément au Code des obligations, quittera l'entreprise au terme de son congé maternité. A moins qu'elle ne trouve un autre travail dans l'intervalle...
A la concurrence
Un souci présent dans tous les esprits malgré la bonne humeur et l'entraide qui règnent au sein de l'équipe. Mère de deux enfants, Graça confie son inquiétude face à l'avenir. Sans formation comme ses compagnes, elle espère être réengagée dans une usine. Khemissa mise plutôt sur une activité en relation avec des personnes âgées. Veuve d'origine tunisienne, à charge d'une adolescente de 16 ans, elle a travaillé neuf ans chez Del Maître. A 51 ans, elle craint d'être écartée du marché de l'emploi. Futur papa, Pascal essaie de son côté de rester confiant. Il a déjà travaillé dans d'autres domaines comme la pub ou le bâtiment... Quoi qu'il en soit, aucun d'entre eux ne posera de questions au responsable de la caisse de chômage d'Unia venu les informer de la procédure à suivre et des papiers à fournir pour leur inscription. Vertige administratif... La liste est impressionnante. Pas de quoi toutefois ébranler la délégation qui, déjà bien au fait des rouages et exigences de la bureaucratie, n'a pas attendu cette séance pour entamer les recherches d'emploi. Reste malgré tout un certain ressentiment lié au caractère injuste de la situation que chacun évacue comme il peut. Pascal a pour sa part décidé d'acheter désormais sa viande à la concurrence...
Sonya Mermoud
Tristounettes: voilà comment s'annoncent les fêtes de fin d'année pour Pascal, Graça, Candida, Khemissa ou encore Fatima. Et pour cause, à l'image de nombre de collaborateurs de l'entreprise Del Maître, ces derniers seront bientôt au chômage. Licenciés en septembre dernier comme tous leurs collègues, ils ont en effet refusé de signer un contrat de réembauche revu à la baisse. Un contrat négocié en secret par la société avec l'Association suisse du personnel de la boucherie, partenaire «social» au demeurant inconnu du personnel. En agissant de la sorte, Pascal, Graça, Candida, Khemissa, Fatima et tant d'autres ont non seulement manifesté leur opposition à des conditions de travail inacceptables mais aussi affiché leur désaccord avec la manière de procéder de Del Maître qui a voulu leur imposer l'interlocuteur de son choix. Au mépris de la loi.
«C'est du Zola»
Accueilli dans les bureaux d'Unia Genève, le petit groupe est venu s'informer de la suite des opérations. Il agira aussi comme relais auprès des autres travailleurs, les syndicats s'étant vu interdire tout accès à l'usine. Responsable du dossier pour Unia, Ana-Bel Martinez fait le point de la situation. Elle rappelle dans la foulée les différends rencontrés dans le passé avec Del Maître, propriété des Laiteries réunies: mise à la porte du délégué syndical, menaces de licenciement d'une trentaine de personnes, problèmes de harcèlement... L'entreprise est bien connue d'Unia. Le feuilleton continue. «C'est du Zola», dira-t-elle pour faire court avant d'enchaîner sur les préoccupations du jour. «Afin d'éviter une pénalisation du chômage, nous devrons aller aux prud'hommes. Dans l'idéal, il faudrait qu'une quinzaine de personnes soient acquises à cette idée. Ce nombre sera suffisant pour mener une action collective plus percutante que des démarches individuelles.» Murmures approbateurs. Tous signent une procuration permettant à la syndicaliste d'aller de l'avant et promettent, exemplaires supplémentaires glissés dans le sac, d'en distribuer aux collègues. «Ce n'est pas normal ce que Del Maître est en train de nous faire» s'exclame Candida en rendant sa copie. «On va y aller aux prud'hommes. C'est sûr.»
Flexibilité impossible
Les collègues acquiescent. Tous en ont gros sur le cœur. Comment auraient-ils pu en effet accepter la proposition de réembauche de leur patron qui stipule notamment, pour le personnel d'exploitation, des horaires de travail flexible entre... 5 heures du matin et 21 heures! «Impossible! On a des enfants. Qui s'en occupera?» questionne l'une des femmes. Autre problème soulevé: les transports publics qui ne desservent pas la zone à ces heures. «Le dernier bus part à 19 heures», affirme, dépitée, Khemissa qui n'a ni voiture ni permis de conduire et compte sur la solidarité de collègues motorisées. «Quand je finis tard, c'est mon mari qui vient me chercher» relève Candida qui, avec ses 11 ans d'activité à la boucherie, se souvient de l'heureuse époque où une navette assurait les déplacements du personnel.
Traité de fonctionnaire...
Le passage à la semaine de 43 heures comme la suppression de la pause payée prévus dans le nouveau contrat suscitent aussi des commentaires acerbes. «On nous demande de travailler plus pour un salaire identique: 3600 francs brut par mois», s'indigne Candida qui évoque encore la question des heures supplémentaires «non obligatoires mais largement recommandées». De quoi faire réagir ses compagnons d'infortune, ayant aussi été confrontés au problème de manière récurrente. «Il m'est arrivé de quitter l'entreprise à minuit», lance Pascal. «Il y a deux ans, j'avais 250 heures en plus!», renchérit le jeune homme de 28 ans qui, responsable d'une équipe, refuse désormais de dépasser la durée de travail réglementaire. «Le patron me traite aujourd'hui de fonctionnaire. Il dit que je suis négatif», note-t-il encore, de l'amertume dans la voix.
Pas de récompenses
Si tous ont été souvent appelés à prolonger les journées, ils n'ont pas vu leurs efforts récompensés pour autant. «Depuis quelques années, les heures supplémentaires ne sont plus payées. Nous devons les compenser en congé.» Et là encore, le bât blesse, les récupérations étant généralement décidées par le patron, à la dernière minute, en fonction du volume de travail. «Il nous dira par exemple de quitter quelques heures plus tôt le boulot, ou de prendre notre après-midi.» Bonjour pour s'organiser et profiter de ce temps libre... Quant aux collaborateurs ne bénéficiant pas de marge, ils se retrouveront avec des heures en négatif. Autant de facteurs qui pèsent lourdement sur un emploi à la chaîne exigeant.
Ambiance tendue
Les quatre femmes présentes chez Unia font partie des employés de la «salle blanche». Vêtues de combinaisons sanitaires spéciales, elles gèrent des machines - leur maîtrise réclame un à trois mois de formation, selon leur complexité - servant à découper la viande avant que celle-ci ne soit mise en barquettes, emballée et étiquetée. Les variations de température dans le sas, le bruit mais surtout la nécessité de garder le rythme rendent la tâche plutôt pénible. Les ouvrières ne se plaignent toutefois pas de la nature de leur job mais de l'ambiance actuelle. «Avant, on bossait aussi dur mais on rigolait bien. Maintenant c'est tendu. Le chef est sec et toujours sur le dos des gens quand il ne les rabaisse pas», lance l'une d'entre elles. Fatima raconte pour sa part comment, bien qu'enceinte, la direction lui a demandé d'accepter son licenciement et de signer le nouveau contrat avant de faire marche arrière. «La loi, c'est la loi», lance la future mère de 29 ans qui, conformément au Code des obligations, quittera l'entreprise au terme de son congé maternité. A moins qu'elle ne trouve un autre travail dans l'intervalle...
A la concurrence
Un souci présent dans tous les esprits malgré la bonne humeur et l'entraide qui règnent au sein de l'équipe. Mère de deux enfants, Graça confie son inquiétude face à l'avenir. Sans formation comme ses compagnes, elle espère être réengagée dans une usine. Khemissa mise plutôt sur une activité en relation avec des personnes âgées. Veuve d'origine tunisienne, à charge d'une adolescente de 16 ans, elle a travaillé neuf ans chez Del Maître. A 51 ans, elle craint d'être écartée du marché de l'emploi. Futur papa, Pascal essaie de son côté de rester confiant. Il a déjà travaillé dans d'autres domaines comme la pub ou le bâtiment... Quoi qu'il en soit, aucun d'entre eux ne posera de questions au responsable de la caisse de chômage d'Unia venu les informer de la procédure à suivre et des papiers à fournir pour leur inscription. Vertige administratif... La liste est impressionnante. Pas de quoi toutefois ébranler la délégation qui, déjà bien au fait des rouages et exigences de la bureaucratie, n'a pas attendu cette séance pour entamer les recherches d'emploi. Reste malgré tout un certain ressentiment lié au caractère injuste de la situation que chacun évacue comme il peut. Pascal a pour sa part décidé d'acheter désormais sa viande à la concurrence...
Sonya Mermoud