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Affront aux plus précaires

Violent affront aux travailleuses et aux travailleurs les plus pauvres actifs dans des secteurs comme la coiffure, la restauration ou encore le nettoyage: par une courte majorité, la Commission de l’économie du Conseil national s’est récemment prononcée en faveur de la motion d’Erich Ettlin, soutenue par une trentaine d’organisations interprofessionnelles. L’Obwaldien, du Centre, demande la primauté des salaires des conventions collectives de travail (CCT) de force obligatoire sur les minimaux cantonaux en Suisse romande. Le sénateur a déjà été suivi dans ce sens en juin dernier par le Conseil des Etats et contre l’avis du Conseil fédéral. Il invoque la nécessité de «protéger le partenariat social contre des ingérences discutables». Cet intitulé aussi aguicheur que trompeur – le projet aurait juste l’effet inverse – ne suffit pas à masquer in fine les buts de la démarche: préserver à tout prix les intérêts patronaux et ceux des actionnaires et baisser le coût du travail, quitte à produire de nouveaux working poor. Cette volonté déguisée se révèle particulièrement scandaleuse: les rémunérations plancher entrées en vigueur en 2017 à Neuchâtel et en 2020 à Genève ont fixé des tarifs horaires obligatoires s’élevant respectivement à 20,08 francs et 23,27 francs. Tout juste de quoi parvenir à vivre dignement d’un labeur à plein temps, sans écarts, et en l’absence d’imprévisibles dépenses susceptibles de rompre un fragile équilibre financier... Ces rémunérations minimales, contrairement aux prédictions des faîtières patronales, n’ont d’ailleurs pas généré de licenciements, d’augmentation du chômage ou de fermetures d’entreprises comme le soulignent les syndicats qui se sont battus pour leur introduction. Y renoncer aujourd’hui porterait en revanche préjudice à des milliers de personnes, dont nombre de femmes, qui moins bien payées sous le régime de CCT, devront se tourner vers des aides sociales. En d’autres termes, les patrons, bien qu’ayant la capacité économique de verser des salaires minimums feraient des économies sur le dos des contribuables...

La proposition soutenue par le camp bourgeois se révèle d’autant plus indécente que la récession frappe à nos portes, que le coût de la vie ne cesse d’augmenter et qu’on ignore encore l’impact de la crise énergétique dans les budgets des ménages. Ce contexte, synonyme de baisse du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre, frappera de plein fouet les personnes les moins bien loties. Pas de quoi ébranler la majorité de la Commission qui s’est montrée tout aussi indifférente à respecter la volonté du peuple. Neuchâtelois et Genevois avaient pourtant plébiscité l’application de salaires minimums. Ce vote avait aussi tenu compte des importants risques de dumping dans ces cantons frontaliers. Il visait également à éviter une mise sous pression de l’ensemble des salaires et à pénaliser les patrons versant des revenus corrects à leur personnel.

La motion Ettlin bafoue clairement la souveraineté des cantons, la démocratie directe et les droits des employés. Mais certains employeurs et leurs relais politiques ont la rancune tenace. Ils avaient déjà tenté de torpiller le projet neuchâtelois voté en 2011 recourant en vain jusqu’à la plus haute instance de la Confédération et retardant de facto sa mise en œuvre. L’arrêt fédéral rendu en 2017 leur a donné tort. Et confirmé la compétence des cantons à édicter des salaires minimums, appréhendés comme une mesure de politique sociale. Donc compatible avec la sacro-sainte liberté économique. Chassés par la grande porte, les vaincus tentent d’entrer par la fenêtre... La balle se trouve désormais dans le camp de la Chambre du peuple. A voir si elle fera montre de davantage de sensibilité à l’égard des plus précaires…