Alchimiste du mélange des cultures
Raffael Corral Babuin, alias Baboozïlla, se bat pour un monde multiculturel, respectueux et tolérant
Baboozïlla s'est fait tout seul. A la force d'un mental, d'une volonté de fer. Petit-fils d'immigrés espagnols et italiens, fils de parents toxicomanes, il s'est forgé à l'air lourd de la rue. Pas étonnant qu'il ait aujourd'hui sa place dans le rap, musique de la rue par excellence, et dans cette idée de produire ces T-shirts Afro Schweiz pour que ses valeurs s'affichent elles aussi au grand jour et s'y développent. «J'ai grandi dans la rue, passé des nuits sous les ponts, j'ai connu la faim, la discrimination. Enfant, j'ai vécu aux Grand-Places à Fribourg, je pouvais jouer à la balançoire, mais il n'y avait pas d'autres gamins... J'étais le seul enfant des tox' qui étaient là...»
«J'ai pu poser ma carapace»
Raffael jette un regard sans complaisance sur ce milieu qui a englouti ses parents. «La Suisse, le système, n'offrent pas de solution à ce genre de problème, qui est la pire extrémité de la dégradation sociale. Et elle laisse vivre ça. Mais on a le choix. J'ai aussi touché le fond, et j'ai pu prouver que c'était possible de s'en sortir même si on n'a pas toutes les cartes en main», raconte le jeune homme, heureux aujourd'hui de pouvoir offrir à sa fille mieux que ce qu'il avait lui-même reçu. «Par principe, quelqu'un dans la rue devient robuste, a une carapace. Et grâce à ma fille, j'ai pu poser cette carapace.» Et si sa famille l'a «oublié» - «j'étais le fils du tox', je ne valais rien...», il n'a pas le cœur lourd. «Maintenant, j'ai ma propre famille, je vais me battre pour les miens, pour ma fille, mes futurs autres enfants, pour la génération du métissage. Nous faisons partie de la Suisse, nous faisons sa richesse. La Suisse, ce n'est pas que du fromage et du chocolat», lance-t-il.
Et cet avenir, il l'envisage avec confiance. Grâce à sa formation de cuisinier qu'il a acquise au prix de mille difficultés. «Je n'ai pas fini ma scolarité obligatoire, mais je me suis battu pour trouver une place d'apprentissage. J'ai fait 6 ans et quatre places pour le terminer, ça a été dur, mais maintenant, j'ai un CFC, j'ai une valeur sur le marché du travail.» Et si Baboozïlla a perdu son emploi ce printemps, en raison d'une restructuration - «à ma place, le restaurant a engagé un manager qui coûte bien plus cher!» - il n'est pas inquiet.
Fondue au pili-pili
Il rêve aussi que le concept Afro Schweiz prenne son envol. Un concept qu'il entend, avec son «grand frère» Black Jack qui en a eu l'idée, décliner en multiples activités. Il y a d'abord ces T-shirts, dont la vente est destinée à financer d'autres produits et idées promouvant le message de métissage culturel. Il évoque des projets d'émissions de radio, de TV, de reportages, de clips musicaux, et même de recettes de cuisine déclinées en mode Afro Schweiz, Balkano Schweiz ou encore Asian Schweiz. «Nous avons par exemple une recette de fondue au pili-pili», dit-il fièrement. «J'ai plein d'idées dans ma tête. Elles bouillonnent de voir le jour», explique-t-il.
Si Baboozïlla a pris la parole le 1er mai à Fribourg pour appeler à la tolérance et dire qu'il a pu trouver sa place dans la société grâce au travail, s'il participera à la Marche européenne des sans-papiers cette fin de semaine entre Bâle, Berne et Fribourg, il entend aussi faire progresser ses idées parmi les jeunes, à travers sa musique, essentielle à son existence. «Le hip-hop me ressource, me donne le respect, la confiance, l'espoir. Et les moyens d'exploiter mes capacités dans mes arts respectifs pour promouvoir notre concept.»
Le jeune homme rappe en allemand; il a fait toute sa scolarité dans cette langue. Il vient de réaliser un clip qui rejoindra probablement quelques productions de son groupe sur «youtube». Le clip a été réalisé dans le studio de Neurocide à Fribourg, un lieu où sont aussi vendus les T-shirts Afro Schweiz, indique, reconnaissant, Baboozïlla. Un jeune homme qui, grâce à l'humilité que sa petite Serena lui a apportée, ose aujourd'hui porter la croix suisse, à sa manière, et pour dire que tous ensemble, quelle que soit sa nationalité, nous faisons la richesse de ce pays.
Sylviane Herranz