A la suite de la marche pour la libération des détenus d’opinion, arrivée à Genève le 23 août, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a dû démentir une grave désinformation
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme est intervenu le 4 septembre dernier pour démentir de fausses informations diffusées par l’agence de presse nationale algérienne, l’Algérie presse service (APS). Trois jours auparavant, cette dernière avait publié, en français, arabe et anglais, un article indiquant qu’un prétendu «Bureau des contentieux de l’ONU à Genève» avait rejeté «dans les 24 heures après son dépôt et examen de son contenu» une plainte d’activistes algériens à l’encontre des autorités du pays.
Une désinformation survenant peu après la marche partie de Chambéry pour rejoindre Genève au mois d’août afin d’exiger la libération des détenus du Hirak, ce mouvement populaire né en février 2019 et rassemblant des millions de personnes tous les vendredis jusqu’au début de la pandémie ce printemps (voir L’ES du 26 août). Le 24 août, au lendemain de leur rassemblement sur la place des Nations à Genève, des marcheurs ont remis une lettre ouverte à la haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet. «Notre objectif était d’interpeller le Haut-Commissariat sur les détentions arbitraires en Algérie, pour qu’il prenne au sérieux la situation dans notre pays», rappelle Raouf Mellal, syndicaliste algérien ayant participé à la marche, qui s’indigne de la falsification des faits diffusés par l’agence de presse nationale. «En Algérie, nous sommes victimes de tels procédés depuis des années. Les militants, comme les “hirakistes”, connaissent ces pratiques du pouvoir. Mais que cette agence s’en prenne aujourd’hui à une instance internationale est un véritable scandale», poursuit le président de la Confédération syndicale des forces productives et du Snateg, syndicat indépendant de l'électricité et du gaz.
«Pure invention»
Dans son communiqué, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme reprend point par point le texte publié par l’APS pour les démentir: «Les informations contenues dans l'article – largement reprises par d'autres médias en Algérie et ailleurs – ont été complètement fabriquées du début à la fin», indique le porte-parole du Haut-Commissariat. Il ajoute qu’il n’existe pas de «Bureau des contentieux» relatif aux droits de l’homme au sein des Nations Unies et que le secrétaire de ce bureau, mentionné dans l’article, est inconnu. Le Haut-Commissariat a demandé que cette «fausse information» soit retirée, et que «toute ambiguïté soit levée» auprès des lecteurs et des auditeurs afin qu’ils soient informés «que l'histoire est une pure invention».
Raouf Mellal se réjouit de cette mise au point: «Nous sommes soulagés par la réplique du Haut-Commissariat qui a clairement remis en cause cette mascarade», souligne-t-il, tout en déplorant que l’article, retiré sans aucun commentaire du site de l’APS, soit toujours disponible sur d’autres médias.
Dans sa missive, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a encore «confirmé que des citoyens et des militants algériens ont déposé des plaintes ces dernières semaines, et que les organes compétents en matière de droits de l'homme les examineraient en temps voulu».
Lourde peine requise contre Khaled Drareni
Cette affaire intervient alors que la liberté de la presse est de plus en plus malmenée en Algérie. Selon Reporters sans frontières (RSF), le pays se trouve à la 146e place sur 180 de son classement mondial de la liberté de la presse. L’Algérie a perdu 27 places en cinq ans. De nombreux journalistes sont aujourd’hui sous les verrous.
La semaine passée, Khaled Drareni, directeur du site Casbah Tribune, correspondant de RSF et de TV5 Monde, comparaissait devant une cour d’appel, après avoir été condamné le 10 août à 3 ans de prison ferme pour «incitation à attroupement non armé» et «atteinte à l’intégrité du territoire national». Le procureur a requis un alourdissement de la peine à 4 ans ferme. Selon RSF, il lui est aussi reproché d’avoir émis des critiques envers le régime sur Facebook et d’avoir publié un communiqué de partis politiques en faveur d’une grève générale. «Depuis le premier jour, je n’ai fait que mon métier de journaliste. Je suis là parce que j’ai couvert le “Hirak” en toute indépendance», a-t-il déclaré devant le tribunal, selon l’agence France-Presse. Une audience à laquelle les journalistes algériens n’ont pas pu participer. «Sous prétexte du coronavirus, on interdit à la presse nationale de fournir des informations en temps réel. C’est ça la réalité en Algérie aujourd’hui, pour faire peur aux journalistes, les censurer», réagit Raouf Mellal, convaincu qu’une fois les mesures de confinement levées, le mouvement du Hirak, «clé de la démocratie», reprendra de plus belle.