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Au cinéma en mars

Image tirée du film La syndicaliste
© Guy Ferrandis/Le bureau

Image tirée du film "La syndicaliste".

"La syndicaliste" de Jean-Paul Salomé, "Matter out of Place" de Nikolaus Geyrhalter, ainsi que deux festivals militants sont à découvrir dans les salles obscures de Suisse romande


Quand la victime devient coupable

Dans son nouveau film, La syndicaliste, le réalisateur français Jean-Paul Salomé raconte l’histoire vraie de Maureen Kearney, une déléguée CFDT chez Areva qui s’est battue pour faire éclater un scandale d’Etat et défendre plus de 50000 emplois. Un thriller qui plaide en faveur d’une meilleure protection des lanceurs d’alerte

Image tirée du film.

 

D’origine irlandaise, Maureen Kearney est professeure d’anglais depuis 2004 dans le cadre de la formation continue chez Areva, le géant du nucléaire français. Mais aussi et surtout la déléguée syndicale CFDT de l’entreprise. Fonceuse et très impliquée dans sa mission au service de la protection des travailleurs et des travailleuses, Maureen Kearney a également développé une certaine connivence avec la PDG Anne Lauvergeon. Mais à la suite de la destitution de cette dernière en 2011 par le président Sarkozy et de la nomination du sanguin Luc Oursel à la tête du groupe, la vie de cette quinquagénaire tourne au cauchemar. Maureen Kearney prend conscience de transactions secrètes entre la France et la Chine. Des transactions qui signifieraient le démantèlement d’Areva, la perte d’un savoir-faire bradé aux Chinois et de l’indépendance énergétique de la France, mais surtout la disparition de 50000 emplois. Bien décidée à faire éclater ce scandale, la syndicaliste se retrouve seule contre tous et face à un mur: les politiques estimant que la situation est sous contrôle et les industriels que cette enseignante d’anglais n’est pas compétente sur les questions techniques. Parallèlement, des appels anonymes et des menaces commencent à ponctuer son quotidien. Jusqu’à ce jour de décembre 2012 où Maureen Kearney est retrouvée chez elle par sa femme de ménage, ligotée à une chaise, une lettre A tailladée sur le ventre et le manche d’un couteau introduit dans le vagin. L’enquête est menée sous pression, car le sujet est sensible. Cette agression est-elle liée à son combat? Mais de nouveaux éléments sèment le doute dans l’esprit des enquêteurs: la déléguée syndicale aurait-elle mis en scène son agression pour donner du poids à ses dénonciations? De victime, Maureen Kearney devient alors suspecte…

Lanceuse d’alerte seule contre tous

Adaptation du livre La syndicaliste, enquête de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, le film, qui prend la forme du thriller, a été conçu dans un véritable souci de vérité: «Certains dialogues sont exacts au mot près, explique le réalisateur Jean-Paul Salomé, notamment ce que l’on entend au cours des deux procès.»

De plus, en racontant l’histoire de cette femme, Jean-Paul Salomé soulève aussi la question plus personnelle de comment se relever après une telle épreuve: «Au-delà des faits, des enjeux politiques et industriels, j’avais envie de savoir ce que Maureen avait vécu de l’intérieur, précise-t-il, ce qu’avaient traversé ses proches, comment elle s’était reconstruite. Il me manquait une dimension intime.»

Mais la problématique principale abordée dans le film concerne bien la question de la protection des lanceurs d’alerte – seuls contre tous – et la valeur donnée à leur parole. «Maureen se bat contre une sorte d’hydre tentaculaire qui la dépasse complètement», analyse la comédienne Isabelle Huppert, interprète du personnage. Une situation inégale encore amplifiée ici par le fait que Maureen Kearney est une femme. Soumise à des examens gynécologiques dégradants à répétition dans le cadre de l’enquête, elle se retrouve uniquement face à des hommes – enquêteurs et médecins – qui estiment qu’elle n’a pas réagi «comme une femme violée», ainsi que cela figure dans les rapports de l’époque. En remettant en doute ses déclarations, ils la font ainsi passer du statut de victime à celui de coupable.

La syndicaliste, de Jean-Paul Salomé, sortie en Suisse romande le 1er mars.


FIFDH de retour à Genève

Image du film Interdit aux chiens et aux Italiens.

 

La 21e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) de Genève aura lieu du 10 au 19 mars prochains. Le programme compte pas moins de 36 films documentaires et de fiction du monde entier, ainsi que des dizaines de débats, tables rondes et rencontres. Conflits et migration, décolonisation, féminicides, droits des enfants ou encore technologie et droits humains font, entre autres, partie des thématiques abordées.

Présenté en première mondiale, le documentaire Pegasus, un espion dans votre poche revient notamment sur le scandale de ce logiciel espion utilisé par 65 Etats pour surveiller à distance des syndicalistes, des activistes et des défenseurs des droits humains.

Cette édition 2023 coïncide par ailleurs avec un anniversaire symbolique, ainsi que le souligne la directrice des programmes dans un communiqué: «Célébrer les 75 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme incite à considérer ces droits à la croisée de leurs continuités, ruptures et émergences. Le FIFDH Genève aborde ainsi avec une égale acuité des thèmes aussi complémentaires que l’humiliation comme outil d’oppression, l’extension des droits universels au monde du vivant ou les écueils éthiques à l’ère du numérique.»

Pour la première fois, le festival proposera également une programmation spécifique réservée au jeune public dès 6 ans, avec notamment la projection du film d’animation Interdit aux chiens et aux Italiens, d’Alain Ughetto, qui revient sur l’histoire des milliers de travailleurs transalpins qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle.

Plus d’informations et programme sur: fifdh.org


Quand la propreté devient un luxe

Avec Matter out of Place, le cinéaste autrichien Nikolaus Geyrhalter capte la prolifération de nos détritus et surtout le travail infini et ingrat des personnes qui tentent de nous en débarrasser. Des images fortes qui rappellent que l’absence de déchets est le privilège des riches…

Image tirée du film.

 

Des sommets de la Suisse aux côtes de la Grèce et de l’Albanie, en passant par une usine d’incinération en Autriche, mais également par le Népal, les plages paradisiaques des Maldives ou encore le désert du Nevada, le cinéaste autrichien Nikolaus Geyrhalter filme nos ordures dans Matter out of Place («Matière hors de propos», pour désigner les objets étrangers à un environnement). Mais si son documentaire d’images sans commentaires propose des plans fixes impressionnants – alliant laideur et beauté absolues – c’est avant tout la tâche de celles et ceux qui nous débarrassent de ces détritus qui est ici mise à l’honneur: «Rendre hommage à ce travail de Sisyphe a été dès le début un thème de la recherche», explique-t-il.

La mission de ces nettoyeurs atteint clairement son paroxysme dans les zones touristiques et prestigieuses où l’on s’efforce de dissimuler autant que possible à la clientèle les déchets qui s’accumulent. La vision burlesque d’un camion-poubelle suspendu à une benne de téléphérique rappellera que la gestion des ordures sous nos latitudes prend également des formes inattendues. Quant aux scènes tournées aux Maldives où les employés d’un hôtel de luxe sont occupés 24 heures sur 24 à redonner aux plages leur blanc immaculé, elles sont révélatrices des profondes inégalités face à la problématique. Notamment quand un peu plus loin, l’île où résident des autochtones fait office de décharge. Ironie du sort, «lorsque le niveau de la mer montera, il ne restera des Maldives […] que la montagne de déchets», indique le réalisateur.

Jeter n’est pas anodin

Mais le film vient surtout rappeler que se débarrasser d’un détritus n’est pas un geste anodin: «Dans le meilleur des cas, analyse encore Nikolaus Geyrhalter, nous jetons nos déchets dans les poubelles séparées et pensons que c’est tout. En réalité, c’est le début d’une machinerie inimaginable.» Travail démesuré et ingrat de tri à la chaîne et à la main, logistique épuisante, lourde, voire dangereuse, font partie d’une réalité que nous avons souvent tendance à occulter; et que Matter out of Place se fait un devoir de nous rappeler. 

Matter out of Place, de Nikolaus Geyrhalter, dans les salles de Suisse romande depuis le 22 février.

Festival du film vert

Le documentaire Matter out of Place sera également projeté dans le cadre du 18e Festival du film vert. Du 4 mars au 9 avril, cet événement cinématographique aura lieu en Suisse romande, au Tessin, dans plusieurs communes françaises et même dans trois pays d’Afrique. Au total, ce sont plus de 300 projections d’une soixantaine de films qui auront lieu dans 87 endroits différents, ainsi que de nombreuses séances dans des écoles. Au programme: des documentaires «porteurs d’espoir», pour reprendre les termes du communiqué et qui tendent à mettre à l’honneur les «innombrables initiatives citoyennes qui voient le jour partout sur la planète pour proposer une autre façon de consommer, de vivre mieux, plus respectueuse de notre environnement». Ce sera notamment le sujet du film Les gardiens du climat, du réalisateur français Erik Fretel, qui recevra le Prix Albert Schweitzer à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du festival le 4 mars au Château d’Yverdon-les-Bains. 

Plus d’informations et programme sur: festivaldufilmvert.ch