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Au cinéma en novembre

Image tirée du film Les femmes du square.

"Les femmes du square" de Julien Rambaldi, "R.M.N." de Critian Mungiu, et "Mi país imaginario" de Patricio Guzmán sont à découvrir dans les salles obscures


La révolte des nounous

Dénonçant les conditions de travail et la précarité des nounous travaillant dans les beaux quartiers parisiens, le réalisateur français Julien Rambaldi propose Les femmes du square. Une comédie rythmée qui invite à la réflexion sur le rôle qu’occupent ces employées de maison dans nos sociétés

Image tirée du film.

 

A Paris, Angèle, jeune femme ivoirienne, travaille comme vendeuse à la sauvette pour le compte d’une bande de malfrats. Réalisant de bonnes affaires grâce à sa tchatche et à son aplomb, elle en profite également pour filouter son boss. Afin d’éviter les représailles, elle parvient, avec l’aide de Wassia sa voisine, à se faire embaucher comme nounou dans les beaux quartiers de la capitale. Au service d’Hélène, une cadre supérieure en instance de divorce, Angèle est désormais en charge d’Arthur, âgé de 8 ans. Mais lorsqu’au square du quartier, elle fait la connaissance d’autres nounous, elle découvre leurs conditions de travail et leur précarité. Angèle, la culottée, décide de prendre les choses en main. Et notamment pour aider son amie Wassia à affronter des employeurs déloyaux. Avec le soutien d’Edouard, un jeune avocat qui va rapidement tomber sous son charme, Angèle va se battre pour rendre justice et dignité à ces travailleuses.

Film coécrit et réalisé par le cinéaste français Julien Rambaldi, Les femmes du square est une comédie dramatique alliant gags et moments tendres. Avec, à l’origine du projet, l’attachement entre son propre enfant et sa nounou: «Mon désir de faire ce film est parti d’eux. En observant leur relation, j’ai réalisé que mon fils de 7 ans connaissait cette femme mieux que moi.»

Dysfonctionnements dénoncés

Dans la peau d’Angèle, la dynamique comédienne Eye Haïdara vient donner charisme, impertinence et spontanéité à ce personnage. Sa rencontre explosive avec la bonne société parisienne provoquant nombre de situations tant comiques que déroutantes. Car, ainsi que le souligne le réalisateur, «le contraste entre ces deux mondes, celui des bobos, qui ont l’impression d’être dans leur bon droit, et celui de ces femmes en détresse» est bien au centre de cette comédie sociale.

«Il y a quelque chose de perturbant à imaginer ces femmes qu’on voit passer avec ces poussettes entrer dans ces appartements, qui sont si différents des leurs. Je souhaitais vraiment que ce film, l’air de rien, éclaire ces dysfonctionnements propres à notre société», explique encore le cinéaste. Heures supplémentaires non payées, non-respect des délais de congé, modification inopinée du temps de travail, etc., sont autant d’abus dénoncés ici. La peur du renvoi pour ces employées souvent sans papiers, la méconnaissance de leurs droits et une appréhension de la revendication font également partie des aspects majeurs du film. «Tant qu’on s’occupe des gosses et du ménage, c’est cool. Mais dès qu’on essaie de faire valoir les mêmes droits que les autres, on est traitées comme de la m…», s’insurge une Angèle révoltée. Face à ces travailleuses, on retrouve des parents qui préfèrent ne pas poser de questions sur la réalité qu’elles endurent et qui, malgré une certaine «bien-pensance», se retrouvent piqués au vif dès qu’il est question d’argent. Et Julien Rambaldi de poursuivre: «Quand on est parent, sous prétexte qu’on protège son enfant, on peut devenir un monstre et penser pouvoir se débarrasser de la femme qui le garde d’un revers de main.» 

Les femmes du square, de Julien Rambaldi, sortie en Suisse romande le 16 novembre.


La révolte d’un village

Avec R.M.N. le cinéaste roumain Cristian Mungiu raconte les déboires d’un petit village de Transylvanie à la suite de l’arrivée de trois travailleurs immigrés sri-lankais. Une analyse magistrale, dans une ambiance glaciale, de l’émergence du populisme et du nationalisme et des conséquences de la mondialisation

Image tirée du film.

 

Après avoir quitté son emploi comme ouvrier dans un abattoir en Allemagne, Matthias revient dans son village natal de Transylvanie. A quelques jours des fêtes de Noël, il retrouve sa femme, son fils, et surtout Csilla, son amour de jeunesse. Cette dernière, gérante d’une boulangerie industrielle implantée dans la localité, est désespérément à la recherche de nouveaux travailleurs afin de pouvoir bénéficier de subventions de l’Union européenne. Mais le salaire de misère proposé n’attire pas la population qui a déjà largement quitté la région pour travailler en ville ou à l’étranger. En désespoir de cause, Csilla engage alors des boulangers sri-lankais. L’arrivée de ces trois étrangers vient troubler le calme apparent de cette communauté enracinée dans ses traditions. Et va provoquer des réactions d’indignation et de violence. C’est dans ce climat de tensions et de frustrations que Matthias et Csilla tentent de reconstruire leur histoire passée…

Sélectionné lors du dernier Festival de Cannes, R.M.N. est l’œuvre du cinéaste roumain Cristian Mungiu. Et se présente comme un chef-d’œuvre tant du point de vue du récit – complexe et déroutant – que de l’esthétisme avec sa photographie hivernale gris-bleu.

I.R.M. de la mondialisation

Dans ce portrait d’un petit village de Transylvanie en période de Noël, le cinéaste vient notamment mettre en avant de nombreuses traditions régionales pittoresques. De plus, la multiethnicité propre à ce territoire roumain se trouve parfaitement illustrée par l’utilisation de plusieurs langues (roumain, hongrois, allemand, etc.). Mais bien au-delà de son implantation locale, le film soulève des problématiques universelles. «R.M.N. questionne les dilemmes de la société actuelle, analyse son réalisateur. La solidarité face à l’individualisme, la tolérance face à l’égoïsme, le politiquement correct face à la sincérité. Il interroge aussi ce besoin atavique d’appartenance, de s’identifier à son groupe ethnique, à son clan et de considérer naturellement les autres avec réserve et suspicion.»

Par le prisme d’une communauté pétrie de traditions, il s’agit donc ici d’observer les mécanismes de la mondialisation et de ses effets dévastateurs sur le petit village. Exode rural ou à destination des pays riches, pressions de l’Union européenne sur l’économie locale, dumping salarial inacceptable pour la population autochtone – «Pourquoi l’usine paie si mal?» s’insurge un habitant remonté – et arrivée de travailleurs étrangers conciliants et corvéables font partie des dysfonctionnements mis en évidence. Avec pour résultat l’émergence de mouvements populistes et nationalistes et la violence, les idées préconçues et les propos nauséabonds qui, immanquablement, en découlent. Ainsi, comme son titre l’indique, R.M.N. («I.R.M.» en français) se présente comme une imagerie minutieuse et réaliste de notre société. 

R.M.N., de Cristian Mungiu, sortie en Suisse romande le 16 novembre.


La révolte d’une nation

Dans son nouveau documentaire, le cinéaste chilien Patricio Guzmán revient sur le soulèvement populaire qui a secoué son pays à partir d’octobre 2019. Mi país imaginario se présente comme l’épopée d’une incroyable mobilisation, tout en revenant sur l’histoire du Chili dans les années 1970

Image tirée du film.

 

Chili, octobre 2019. Une révolution inattendue embrase le pays. Une explosion sociale! A l’origine du mouvement, un épiphénomène, à savoir l’augmentation du prix des transports en commun. La colère des utilisateurs, et en particulier des étudiants, est immédiate. Rapidement la contestation prend de l’ampleur avec jusqu’à un million et demi de personnes dans les rues de Santiago. Et la liste des revendications s’allonge: plus de démocratie, une vie digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution en font notamment partie. Face aux manifestants, le président de droite Sebastián Piñera déploie l’armée et crée ainsi un climat de terreur. Une répression qui provoquera des milliers de blessés, dont de nombreuses personnes ayant perdu un œil, et plusieurs dizaines de morts.

Interpellé par cette révolution, le cinéaste Patricio Guzmán en devient ainsi témoin et narrateur dans son nouveau film Mi país imaginario («Mon pays imaginaire»). Alternant prises de vues de la mobilisation – parfois impressionnantes – avec de nombreux témoignages, il vient en même temps tirer des parallèles avec l’histoire du Chili des années 1970.

Un cinéaste concerné

«Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin», s’enthousiasme-t-il. Car ce réalisateur, spécialiste du documentaire et admirateur du projet révolutionnaire socialiste et pacifiste de Salvador Allende, a aussi été un observateur privilégié du coup d’Etat mené en 1973 par Augusto Pinochet. Arrêté, enfermé et menacé d’exécution par la dictature militaire, le cinéaste parviendra à s’exiler grâce à sa double nationalité espagnole. Pour finalement s’installer à Paris d’où il réalisera de très nombreux longs métrages engagés sur l’histoire du Chili. Ainsi, face aux agissements de la police et de l’armée de 2019, il ne peut s’empêcher d’y voir le reflet et l’héritage de la dictature.

Mais Patricio Guzmán filme surtout «le réveil d’un pays» au plus près de ces jeunes et moins jeunes mus par une soif de changement; et au sein d’un soulèvement apolitique, sans chef et sans idéologie. En mettant au centre de nombreuses femmes, il vient également rappeler qu’elles sont les premières victimes des inégalités inhérentes au système. «Ce mouvement aura le visage et la voix de la femme», souligne une des intervenantes.

On regrettera que le film ait été terminé trop tôt pour pouvoir intégrer le rejet par les Chiliens de la nouvelle Constitution en septembre dernier. Un événement qui aurait signifié l’aboutissement de cette révolution. Mais on rappellera, par la voix d’une manifestante, que «les changements sociaux importants prennent du temps. On doit être patients. Ces changements ne sont pas pour nous. Ils sont pour les prochaines générations.» 

Mi país imaginario, de Patricio Guzmán, sortie en Suisse romande le 23 novembre.