Pour Théo, l’un des «3+4 de Briançon» récemment condamné, la lutte continue, sur le plan de la justice mais aussi sur le terrain, à Briançon. Interview
Avril 2018. Théo et Bastien, deux amis genevois, plutôt engagés, décident de se rendre sur le terrain à Briançon, en France, pour venir en aide aux migrants qui tentent d’atteindre le rêve européen. La situation dégénère lors d’une marche contre les exactions commises par le groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire, la militarisation et la répression qui règnent à la frontière. Les deux jeunes, la vingtaine au compteur, se font arrêter. Placés en détention pendant neuf jours à Marseille aux côtés d’une camarade italienne, ils deviennent les «3 de Briançon» et sont accusés d’avoir «facilité ou tenté de faciliter l’entrée irrégulière en France en bande organisée» de migrants à la frontière franco-italienne. Aux trois s’ajoutent quatre autres militants, accusés du même «délit». Des mois de procédure plus tard, la sentence tombe en décembre dernier. Reconnus coupables par le Tribunal correctionnel de Gap, cinq d’entre eux – dont nos deux Suisses – écopent de six mois de prison avec sursis. Les autres se voient infliger des peines de prison ferme.
Théo revient sur les événements de ces derniers mois, leurs conséquences mais aussi sur la situation actuelle à la frontière.
QUESTIONS/RÉPONSES
Le jugement a été rendu il y a deux mois: l’avez-vous digéré?
Absolument pas. Au fond de moi, j’espérais vraiment la relaxe, j’ai été très choqué par la partialité de ce procès du 8 décembre, qui a d’ailleurs duré dix-sept heures. Aujourd’hui, on est de retour à nos petites vies, mais c’est loin d’être fini. Nous voulons porter l’affaire plus haut, c’est pourquoi nous avons déposé un recours, qui sera traité par la Cour d’appel de Grenoble. La condamnation a donc été suspendue.
Vous continuerez à plaider l’innocence…
Bien sûr, mais ça va au-delà. Il s’agit de faire reconnaître le droit de manifester mais aussi d’apporter son aide à autrui. La symbolique est très forte. Car, quelque part, cette condamnation vient cautionner ce que nous avons subi, à savoir l’emprisonnement pour certains et les violences policières pour d’autres. Ce jugement ayant installé un climat de peur et de répression face à l’aide apportée à ces migrants, nous craignons qu’il entraîne de façon indirecte de nouveaux morts dans les montagnes.
Avec un peu de recul, comment analysez-vous les événements vécus ces derniers mois?
Je dois avouer que je reste très sceptique quant à nos chances d’arriver à un quelconque dénouement dans cette histoire. Nous avons donné beaucoup de nous-mêmes mais ça n’a rien changé, la justice n’a pas bougé d’un iota. La juge a repris à la lettre ce que le procureur avait requis contre nous. Il n’y a eu aucune volonté de comprendre le contexte, juste de juger les faits. Pour moi, l’enjeu est aussi politique. Le but était de faire diversion en focalisant l’attention sur nous plutôt que sur la situation de ces migrants.
Un large groupe de soutien s’est constitué autour des «3» puis des «7 de Briançon»: est-ce que vous vous attendiez à un tel élan?
Quand nous avons été incarcérés aux Baumettes à Marseille, nous avons d’abord été très isolés et nous n’avons pas réalisé l’ampleur que ça avait pris. Ce soutien nous a été précieux: le fait d’être entourés et de rester actifs nous a permis d’accepter la situation et de moins la subir. Ensuite, toutes les décisions que nous avons prises ont été concertées avec notre comité de soutien, c’est lui d’ailleurs qui nous a encouragés à nous médiatiser davantage.
Comment s’est passé le retour à la réalité genevoise?
Depuis notre arrestation en avril 2018, nous avons été associés à cette cause. Certains nous soutiennent et c’est génial, mais d’autres sont plus agressifs, et c’est plus compliqué à gérer. J’ai pu recevoir des réflexions désagréables du genre: «Il y a assez de problèmes en Suisse pour ne pas aller te mêler de ceux de la France»… Clairement, il y a eu un avant et un après. Aujourd’hui, je suis une personne différente.
A quoi ressemble votre quotidien?
J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir garder mon poste de maître-nageur pour la saison estivale à Carouge, sans aucun problème. Et puis avec Bastien, nous avons repris notre travail aux champs au sein de notre collectif Terre Libre qui propose, entre autres, des paniers de légumes.
Est-ce qu’il n’y a pas un moment où vous avez regretté d’avoir participé à cette marche?
Nous n’avons aucun regret, au contraire, nous sommes plus déterminés que jamais à continuer le combat et à aller sur le terrain. Nous sommes liés à la cause désormais. D’ailleurs, nous rentrons tout juste de Briançon.