Bâtir un avenir sans béton armé
L’évacuation de la Zad du Mormont le 30 mars n’a peut-être pas été aussi «propre» qu’on a bien voulu le croire. Dans un rapport publié la semaine dernière, le collectif des Orchidées contre béton armé, qui occupait cette colline vaudoise grignotée par la cimenterie de Holcim, dénonce des conditions de détention jugées inacceptables. Les interpellés auraient été laissés «sur le béton d’un parking extérieur sans équipement adéquat contre le froid pour passer la nuit», privés d’eau et de nourriture pour certains durant 30 heures. Accrochés sur leur branche, les derniers zadistes ont connu le même sort, dépourvus de vêtements chauds et de leurs vivres confisqués alors que le mercure affichait 3 °C et que la bise balayait le Mormont. Se tenant à disposition pour délivrer des soins, les street-medics avaient été arrêtés au préalable dans l’infirmerie. Mise en garde à vue, une médecin a même subi une fouille à nu avec inspection des orifices. Accusés de violation de domicile et d’insoumission à l’autorité, quelque soixante zadistes risquent jusqu’à trois mois de prison ferme. Ils recueillent des dons (zaddelacolline.info/don.html) pour assurer leur défense tout en demandant l’annulation des poursuites pénales. Et la démission de la conseillère d’Etat Béatrice Métraux.
Qu’une écologiste ait pris la responsabilité de cette évacuation pourrait paraître un comble, mais il est peu probable qu’il en aurait été autrement ailleurs ou avec un autre magistrat. Les Verts vaudois n’ont pas apporté leur soutien à la Zad. Et il suffit de regarder dans le canton de Genève voisin: on n’a jamais autant bétonné depuis qu’un Vert, Antonio Hodgers, est en charge de l’Aménagement. La césure entre une nouvelle génération de militants et le vieux parti écolo est frappante. Portés par la vague verte, les élus Verts paraissent bien incapables de mettre en œuvre les politiques que l’urgence climatique impose. Les Verts vaudois veulent maintenant lancer une initiative pour protéger le Mormont. Bien. Mais c’est un avenir sans béton qu’il s’agit d’inventer.
Dans Béton. Arme de construction massive du capitalisme (Editions L’Echappée 2020), le philosophe Anselm Jappe décrit bien les ravages de ce matériau pour l’environnement, la santé et le climat (4% à 8% des émissions mondiales). Les édifices en béton armé ont, en outre, une durée de vie limitée en raison de leur structure sensible à la corrosion. Nous risquons bientôt d’hériter de vastes ruines. L’effondrement du viaduc Morandi à Gênes en 2018 aurait dû nous servir d’avertissement. Alors, lorsque ces jeunes disent qu’il faut cesser de couler du béton, ils sont, finalement, bien plus raisonnables que leurs aînés. Ne jetons pas la pierre aux cimentiers et aux maçons. Leur travail, comme tout travail, mérite le respect. Seulement, on a beaucoup trop misé sur le béton armé en Europe. Il va falloir changer. Les alternatives existent et la transition écologique peut certainement offrir des emplois et du bien-être à tous et à toutes. A Genève, les syndicats lancent justement une initiative populaire en faveur de la création d’emplois accompagnant la transition. C’est un premier pas. Il en faudra beaucoup d’autres.