Artisan tonnelier, Franz Hüsler perpétue une tradition ancestrale. Rencontre sur son lieu de travail, dans l’entreprise de charpenterie Volet, à Saint-Légier
L’homme est un personnage. Franc-parler teinté d’un fort accent alémanique. Physique robuste, taillé pour l’emploi. Aplomb de ceux qui ont de la bouteille. Eclats de rire ponctuant ses plaisanteries. Et surtout une passion pour un métier devenu extrêmement rare. Artisan tonnelier, Franz Hüsler, originaire du canton de Schwytz, est l’un des trois derniers professionnels dans le pays, et le seul en Suisse romande, à fabriquer tonnelets, barriques et foudres, soit des tonneaux de très grande capacité pouvant contenir plusieurs milliers de litres. Depuis plus de vingt ans, il travaille au sein de la charpenterie Volet à Saint-Légier qui a élargi ses activités à ce marché de niche. Avec Vincent Volet, directeur du groupe du même nom, le constructeur de 60 ans explique quelques gestes de son activité. Mais avant, il faut recourir à son imagination et se représenter de grandes forêts de chênes, le plus souvent en France mais aussi parfois dans nos frontières, où sera prélevé le bois servant à la réalisation des fûts. Il faut s’y projeter mentalement pendant l’hiver, saison de l’abattage, «alors que la sève descend, que les veines se resserrent, et que la lune décroît». «Les arbres seront choisis avec le plus grand soin, le moindre défaut, la plus petite fissure nuisant à la qualité du tonneau. Nous devons pouvoir faire confiance aux gardes forestiers. Heureusement, à l’exception d’une barrique, j’ai toujours été bien servi», raconte, de la satisfaction dans la voix, Franz Hüsler. Et Vincent Volet de préciser: «Le bois coupé, encore vert, présèche en forêt, à l’air libre, durant six à douze mois au moins, avant d’être scié. Il est ensuite exposé environ une demi-année à la pluie pour laver les tanins avant d’être stocké à l’abri et bien ventilé. Le processus de séchage se révèle lent. Il faut un an pour sécher un centimètre de bois. Donc, au minimum cinq années seront nécessaires avant usage.»
Première mondiale
La deuxième étape consiste dans le débitage de la matière première en douves, le nom des lamelles qui, assemblées, composent le corps du tonneau. Auparavant, un chablon du modèle aura été dessiné selon les impératifs du client et les mesures prises dans la cave: capacité et hauteur du réceptacle, emplacement prévu, etc. «La fabrication des angles des douves et de leur largeur – plus grande entre la tête et le ventre du fût – se trouve au cœur du métier», poursuit le directeur. La création de contenants ronds s’avère plus simple que ceux de forme ovale. Dans ce dernier cas, Franz Hüsler fabrique toutes les douves à la main, chaque pièce se révélant différente. «J’adapte les mesures à l’œil. Je suis plus rapide que la machine. C’est 90% de savoir-faire et 10% de calcul», déclare avec assurance l’artisan qui peut s’enorgueillir d’avoir réalisé un tonneau en forme d’œuf d’un volume de 500 litres. «Une première mondiale. Je l’ai réalisé pour l’Etat de Fribourg. Une construction incroyable, très complexe. Mais je ne vous dirai ni comment j’ai procédé, ni le nombre d’heures passées. Secrets de fabrication.» Et l’inventif sexagénaire de présenter son étonnante œuvre. «Semblable à l’amphore, cette forme favorise une circulation naturelle du vin, accentue son mouvement. Bon pour l’oxygénation», explique Vincent Volet. Chaque contenant offre ainsi des avantages. La barrique enrichit le précieux nectar du goût du chêne, le tanin de l’arbre, mais sa durée de vie se limite à trois ou quatre ans. Le foudre, qui peut devenir bicentenaire sans altération, agit aussi sur la micro-oxygénation du vin, lui donnant également un caractère particulier.
Le feu et l’eau
Les douves prêtes, Franz Hüsler les assemble au moyen de cercles métalliques. Puis, débute la délicate opération du feu et de l’eau pour donner la courbe au contenant. Installé au centre de la coque, un brasero chauffe les parois qui sont en même temps humidifiées. «Pour l’assouplissement et le pliage, qu’il faut faire au bon moment, en sentant la résistance. Chaque arbre est différent.» La stabilisation de l’ouvrage passe à nouveau par les flammes. «La chaleur brise alors les molécules tanniques et influe sur les arômes. Le temps de chauffe comme la température donnent le goût final du vin», poursuit le constructeur et aussi œnologue qui a, par ailleurs, également travaillé dans les vignes et cinq ans dans une cave. Il faudra encore fabriquer les plateaux de fond, usiner les rainures des douves, assurer leur étanchéité en glissant entre elles des feuilles de roseau. La fabrication de la porte, du portillon et du guillon – petite cheville de bois comblant le trou creusé dans le tonneau pour la dégustation – précéderont le travail de ponçage et la création de gravures pour l’esthétique... A noter que le guillon est installé directement dans la cave, placé selon la taille du client. Autant de gestes spécifiques d’un métier qui, faute de relève, risque pourtant de s’éteindre. L’entreprise Volet a bien formé un apprenti, mais il n’a pas souhaité reprendre le flambeau. «Nous continuons à chercher quelqu’un à initier à la pratique. Nous souhaitons conserver cette tradition, ce savoir-faire ancestral. Cette activité nous tient à cœur», précise Vincent Volet, constatant avec bonheur que l’utilisation de tonneaux est de nouveau d’actualité. «Dans les années 1950 à 1970, on les démontait. Aujourd’hui, leur usage revient à la mode. Une quête d’authenticité.» Et de qualité...
Un membre de la famille
Si le foudre ou le tonneau ne font pas le vin, ils offrent clairement une plus-value. «C’est un ensemble d’éléments. Le travail de la vigne, le processus de vinification et le récipient concourent tous au produit final», déclare Vincent Volet. Franz Hüsler affirme de son côté, en rigolant, que ses ouvrages «peuvent changer l’eau en vin, que les cuves en inox sentent le renfermé». L’artisan, qui a fabriqué des milliers de tonneaux de toutes les tailles dans sa vie, s’occupe aussi de l’entretien et de la réparation de fûts, du recyclage de vieilles barriques en objets divers, à l’exemple de tabourets de carnotzet aperçus dans son atelier. Il répond également à toutes sortes de demandes comme la fabrication, pour un Bernois, d’une tine destinée à accueillir des poissons... Une bizarrerie.
Fort de son expérience, l’artisan offre en outre ses conseils aux vignerons pour améliorer, rectifier un goût. «Il faut comprendre les barriques et les foudres, ne pas compter ses heures. Ce que je préfère dans mon travail? Boire un verre», lance, dans un grand éclat de rire, Franz Hüsler avant de nuancer: «J’apprécie surtout le contact avec les clients – de troisième et quatrième générations déjà. Le tonnelier est comme un membre de la famille. Et goûter le vin de mes tonneaux est bien sûr une sacrée récompense.»