Cloud: la Confédération dans le brouillard
Cloud, ouvre-toi. Le Temps s’en est fait l’écho fin juin: la Confédération a choisi cinq géants de la tech pour stocker ses données en ligne. Les sociétés étasuniennes Amazon, IBM, Microsoft et Oracle, accompagnées de la chinoise Alibaba, ont remporté l’appel d’offres pour le «Public Clouds Confédération». Ce choix interpelle. Depuis les révélations d’Edward Snowden, on sait que les Etats-Unis ont la fâcheuse manie d’espionner le monde entier. Promulgué par Donald Trump, le Cloud Act leur permet d’ailleurs de fouiller légalement dans les serveurs de leurs fournisseurs de services, y compris s’ils sont situés dans d'autres pays. Les entreprises chinoises sont, elles aussi, contraintes de collaborer avec les services de renseignement. L’appel d’offres de la Confédération n’exigeait même pas que les informations de l’administration fédérale et des citoyens helvétiques soient abritées dans un centre de données basé en Suisse. Au contraire, pour soumissionner, il fallait disposer de data centers répartis sur trois continents différents… Ce qu’aucune entreprise suisse ne peut proposer. On sait combien l’hébergement de ces machines et le transfert des données sont voraces en énergie, mais Berne n’a posé aucune exigence écologique.
Traîtres à la patrie. Les 110 millions de francs qui seront dépensés durant cinq ans auraient pu servir à développer un «Swiss Cloud». Soit sous la forme d’une infrastructure de droit public, soit en choisissant un acteur privé. Les compétences ne manquent pas à l’EPFL ou dans certaines entreprises, comme Infomaniak à Genève. C’était tout à la fois protéger notre souveraineté numérique et soutenir notre économie. Au lieu de cela, l’Office fédéral des constructions et de la logistique, dépendant du Département des finances d’Ueli Maurer, a choisi de favoriser les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). «Choisir ces acteurs, c’est leur offrir le moyen de saboter nos infrastructures dépendantes de leurs services et de leur bon vouloir», estime sur son blog Solange Ghernaouti, professeure à l’Université de Lausanne en cybersécurité. Un représentant UDC comme Maurer est pourtant supposé défendre l’indépendance de la Suisse. ^
51e Etat. Après l’annonce que Swisscom transférera ses données chez Amazon dès 2022, cette nouvelle reddition est inacceptable. Bientôt Washington pourra pomper les données de 60% des Suisses (les clients de Swisscom), espionner la Confédération comme dans un livre ouvert et contrôler les systèmes d’armes de nos avions F-35. Autant demander tout de suite à devenir le 51e Etat américain. «Amateurisme, incurie, ignorance ou volonté inavouable sont autant de pistes que nous sommes en droit de questionner», indique sur le site d’Infomaniak Jean-Henry Morin, professeur en systèmes d'information à l'Université de Genève. Et de conclure: «Un véritable sursaut numérique est devenu indispensable pour notre pays!»