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Coupe amère

Décès de quelque 6500 travailleurs migrants attelés aux préparatifs de l’événement selon une enquête de The Guardian, violation des droits humains à large échelle, aberration écologique: à près d’un mois du coup d’envoi de la Coupe du monde de football au Qatar, la polémique enfle. La question de boycotter ou non la compétition la plus populaire de la Terre se pose. Comment se positionner face à cette grand-messe du sport entachée de sang et de larmes? Peut-on regarder les matchs sans cautionner tacitement exploitation et misère? Faire l’impasse sur l’absurdité du choix de ce pays en raison des moyens qui seront mis en œuvre pour refroidir des stades à ciel ouvert surchauffés sous le soleil qatari? Et cela alors que l’on ne cesse de mesurer l’impact des gaz à effet de serre et la nécessité de tendre vers davantage de sobriété énergétique... Autant de questions qui tarauderont peut-être les aficionados du foot. Et qui ont déjà généré différentes réactions publiques. En Suisse romande comme dans nombre de municipalités françaises, plusieurs villes à l’instar de Lausanne, Neuchâtel et Vevey ont annoncé renoncer à la création de fan zones et à l’installation d’écrans géants. A Genève, où une tente d’une capacité de 4000 places devrait être érigée, des voix s’élèvent pour faire obstacle à ce projet jugé particulièrement malvenu dans la «capitale des droits humains» et des valeurs qu’elle affirme défendre. D’anciennes vedettes du sport, comme Eric Cantona, ou des artistes, à l’image de l’acteur Vincent Lindon, ont juré qu’ils n’allumeront pas le poste de télévision. Le Quotidien de la Réunion a lui aussi pris une mesure radicale: il ne couvrira pas le Mondial...

Chacun, bien entendu, décidera où il entend placer le curseur. Et cela alors que le mal a été fait depuis longtemps déjà avec l’attribution en 2010 du Mondial au Qatar dans un contexte de forts soupçons de corruption. Indécente, cette situation aura au moins eu «le mérite» de sortir de l’ombre des armées d’ouvriers étrangers traités comme des esclaves. Et, sous la pression des ONG et des syndicats, dont Unia, à travers des dénonciations répétées, d’obtenir quelques avancées. L’émirat du Golfe a accepté d’entreprendre des réformes en matière de conditions de vie et de travail. Ces améliorations ont toutefois essentiellement profité à la main-d’œuvre employée sur les sites officiels de la FIFA. Une minorité de personnes, comparée aux innombrables autres actives dans la rencontre. Et sans oublier, une fois les projecteurs éteints, le risque d’un retour en arrière.

Quoi qu’il en soit, un pas supplémentaire peut être franchi en dédommageant les migrants qui ont contribué à concrétiser le projet. Une requête formulée par Amnesty International qui n’appelle pas au boycott, mais demande à la FIFA la création d’un fonds de réparation. Avec le soutien d’une majorité de la population suisse consultée, mais aussi de celles de quinze pays ayant répondu à son enquête menée avec d’autres ONG. L’enveloppe réclamée a été chiffrée à 440 millions de dollars, l’équivalent de la somme répartie entre les équipes gagnantes du tournoi. Elle servirait à payer les salaires qui n’ont pas été versés aux travailleurs; à rembourser les montants exorbitants dont ils ont dû s’acquitter afin d’être embauchés; à indemniser les blessés, les familles qui ont perdu un des leurs; ou encore à soutenir des initiatives en faveur de la protection des employés. La FIFA a indiqué étudier la proposition sans donner de réponse. La balle est désormais dans son camp, mais aussi dans celui des associations nationales de football appelées à soutenir cette légitime demande. Comme à s’exprimer publiquement sur les violations des droits humains liés à la compétition. C’est à ce prix seulement que la Coupe sera un peu moins amère.