Lausanne - Renforcer les solidarités
Samedi, 13h30, dans les locaux d’Unia à Lausanne, les dernières banderoles sont finalisées. Nil et Maria s’apprêtent à manifester pour la première fois un 1er Mai. Nil travaille dans la restauration depuis 18 ans et a été licenciée entre les deux vagues de fermeture liées à la pandémie. Maria, femme de ménage, a donné sa démission il y a quelques mois: «Dans la boîte de nettoyage où je travaillais, c’est de l’esclavage moderne. On nous traite comme des chiens. On a entre 14 et 19 minutes, selon les hôtels, pour faire une chambre. C’est impossible de faire du bon travail en 14 minutes: aspirer, faire le lit, nettoyer la salle de bain, frotter, frotter et encore frotter», explique Maria. «On travaille donc davantage pour éviter les réclamations de l’hôtel et on n’est jamais payé pour ces heures supplémentaires. J’avais un contrat à 60%, mais je faisais du 100%! Avec un salaire horaire de 19,25 francs.» C’est ce message qu’elle veut faire passer sur la première pancarte de sa vie. «J’ai essayé de motiver mes anciennes collègues à venir manifester, mais beaucoup ont peur de perdre leur travail. Or si on ne bouge pas, ça ne changera jamais!» Elle a toutefois réussi à convaincre son fils de participer. De son côté, Nil est accompagnée de son mari et souhaite rendre visibles ses collègues de la restauration. Sa banderole: «Au menu des salarié.e.s: chômages et licenciements. Qui paie l’addition de l’hôtellerie-restauration?»
Contre la résignation
Sur le coup de 15 heures, entourées de secrétaires syndicaux, les deux travailleuses embarquent dans le métro. Des militantes kurdes sont là, haut-parleurs en main, l’occasion de commencer la manifestation sous terre, en musique et en slogan: «Grève, grève et mobilisation, c’est ça, c’est ça, c’est ça la solution!» En face du CHUV, plusieurs centaines de personnes attendent le départ du cortège. En tête, Mike Nista, jeune retraité, qui préfère ne plus compter le nombre de 1er Mai auquel il a participé. «Cette date est la plus importante de l’année pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs du monde entier. C’est dommage que tant de gens n’aient pas encore compris la puissance de cette journée. Ce qui m’inquiète actuellement, c’est la résignation des salariés.» L’une des luttes phares actuelles pour le militant d’Unia: «Combattre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes.» Tenant la même banderole affichant «Pour un nouveau départ social», la déléguée d’Unia Clotilde Pinto qui a rencontré la veille la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avec le personnel de vente, pointe la pénibilité et la précarité du métier. «Chez Coop on a eu droit à deux primes et à 1% d’augmentation pour les salaires de moins de 4700 francs, mais les cadences épuisantes sont toujours là, tout comme les horaires à rallonge.» L’immense majorité des vendeuses travaillant le samedi, elles sont rares dans le défilé.
La rentabilité avant la santé
Avant le départ du cortège, une soignante prend la parole. Elle rappelle que les 11000 salariés du CHUV ont vécu 12 mois difficiles et dénonce le système: «Nous faisons déjà beaucoup de sacrifices en temps normal, mais nous avons dû nous mobiliser comme jamais. Nous étions déjà épuisés avant cette crise, car depuis des années les hôpitaux fonctionnent comme des entreprises. Or l’accueil des patients ne doit pas être soumis à des critères de rentabilité. On paie le prix de cette pression et la population aussi!»
Sous une pluie tenace, le cortège, rassemblant près de 600 personnes, s’est ensuite déroulé bruyamment jusqu’à la place de la Riponne. Le long du parcours, des représentants de la Grève du climat et de la Grève féministe se sont exprimés, rappelant leurs revendications et les prochaines grandes mobilisations: le 21 mai et le 14 juin. Dans un communiqué, l’Union syndicale vaudoise (USV) a également demandé «un maintien des RHT renforcées, un appui au replacement et des programmes de relance dans les secteurs les plus touchés». Pour l’USV, cette solidarité doit permettre une réorientation écologique de notre économie, garante d’emplois durables. «En plus d’être à la source du problème, en ayant rendu possible l’émergence de la pandémie, le système économique répond de manière totalement inadaptée à la crise sociale, écologique et sanitaire qui en découle», dénonce-t-elle, avant d’appeler à une sécurité financière pour toutes et tous, à la réorientation de l’économie en favorisant «les secteurs respectueux des limites planétaires» et à un renforcement des solidarités pour un nouveau départ social.
L’insertion à tout prix
Travailleuse dans le domaine du nettoyage, Maria est inscrite à l’ORP tout en travaillant à 30% dans le nettoyage de bureaux. Elle rêve de changer de secteur. «L’ORP ne veut même pas m’aider à me former comme auxiliaire de santé», regrette-t-elle. Nil, qui a été responsable de plusieurs restaurants, confie quant à elle: «Depuis l’été passé, l’ORP me demande de trouver un job dans la restauration alors qu’il n’y a pas d’embauche. Et je dois postuler même si le poste est à deux heures de trajet, alors que les horaires dans la restauration sont déjà difficiles! Avec mes 18 ans d’expérience, je n’ai pas non plus envie d’un emploi de «simple» serveuse. C’est comme si on demandait à un médecin de postuler comme infirmier. La restauration est un secteur qui n’est pas considéré à sa juste valeur.» A leur côté, Tamara Knezevic, secrétaire syndicale d’Unia, souligne: «Dans l’hôtellerie-restauration il y a les RHT, et aussi, déjà, beaucoup de licenciements. Certains employés n’ont pas droit au chômage n’ayant pas assez cotisé, d’autres vont à l’ORP où ils sont harcelés pour qu’ils trouvent du travail coûte que coûte, à n’importe quelles conditions. Et comment faire 12 à 14 recherches par mois quand tout est fermé ou au ralenti?»
Textes Aline Andrey
Photo Olivier Vogelsang