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Du gamin des rues au militant au grand cœur

Vincenzo Sisto
© Thierry Porchet

Depuis 60 ans, Vincenzo Sisto conjugue son quotidien avec son besoin inné d’entraide et de partage. «Je ne peux pas vivre différemment», se justifie le jeune octogénaire d’origine italienne.

Vincenzo Sisto, président du groupe d’intérêts Migration d’Unia Vaud, défend sans relâche les travailleurs étrangers.

La solidarité est son moteur. Les autres, sa raison d’être. Son optimisme et sa persévérance, sa force. Impossible de dissocier l’existence de Vincenzo Sisto, 80 ans, de son engagement politique et syndical. Depuis 60 ans, cet anarcho-communiste et président du groupe d’intérêt migrants d’Unia Vaud conjugue son quotidien avec son besoin inné d’entraide et de partage. Et n’envisage pas de retraite sur ce front. «Je ne peux pas vivre différemment», se justifie le jeune octogénaire d’origine italienne, esprit alerte et regard malicieux. Cette nature altruiste, Vincenzo Sisto l’a largement mise au service de ses compatriotes et plus largement de travailleurs étrangers. Elle plonge ses racines dans un passé douloureux, modelé par la pauvreté et l’injustice. «Gamin, j’aurais apprécié qu’on m’aide», confie Vincenzo Sisto, avant de dérouler la pelote des souvenirs. 

Un quotidien de misère
Originaire de Carovigno, une petite ville des Pouilles, dans la province de Brindisi, Vincenzo Sisto grandit dans un milieu pour le moins modeste. Son père, chevrier et marchand de fromages, décède d’une maladie alors qu’il est âgé de 2 ans. Sa mère, qui élève trois autres enfants, ne touche aucune aide. Et pour cause: son mari figurait parmi les fondateurs de la section locale du Parti communiste. Un crime ou presque. «Pour cette raison, elle n’a pas eu droit aux allocations familiales et à la rente de veuve», raconte l’immigré. Une situation qui vire au drame. Les deux frères aînés de Vincenzo Sisto sont placés dans un orphelinat. Lui reste avec sa mère et sa sœur jusqu’au terme de sa scolarité obligatoire, à 10 ans. Il est ensuite envoyé dans un internat à Oria, puis à Bari, tenu par une congrégation religieuse. Une solution de survie pour ce gosse devenu un gamin des rues. «J’étais mal en point, dénutri, agressif. C’était la misère», témoigne Vincenzo Sisto, précisant au passage que leur maison était une ancienne étable à chevaux où il n’y avait pas assez de lits pour tous.

Révolte matée
L’enfant rebelle va passer huit ans sous la houlette de curés qui se chargeront de le ramener dans les clous. «Ils me frappaient, sur les mains, la tête. Avec le temps, je ne réagissais plus à la douleur. Je restais silencieux et passais pour un fort», relate Vincenzo Sisto, un sourire triste masquant mal les souffrances endurées. Cette éducation à la dure ne l’empêche pas de se former. Diplôme de technicien en mécanique générale en poche, il cherche un travail dans son village mais, sans recommandation, et précédé par sa réputation de frondeur, il ne décroche aucune place. A 19 ans, il décide de rejoindre ses frères et sa mère, immigrés à Lausanne. Les aînés l’avertissent dès son arrivée: «Ceux qui ne travaillent pas, ne mangent pas.» Heureusement, son savoir-faire lui ouvre rapidement les portes du monde professionnel helvétique. D’abord dans une entreprise fabriquant des machines destinées à la pose de rails, puis dans un atelier de mécanique où il démissionnera après un an, à la suite d’un différend avec son patron. «J’ai eu un accident de travail, les doigts de ma main gauche partiellement sectionnés par une machine. Je n’étais pas responsable, mais le chef m’a crié dessus. Je l’ai giflé avant de partir me faire recoudre.» 

Avec quelques centimètres en plus...
Vincenzo Sisto est ensuite employé par la Coopérative de ferblanterie et d’installation sanitaire (Cofal). Le poste lui a été proposé par un secrétaire de la FTMH où il s’est syndiqué quasi dès son arrivée en Suisse. Une année durant, l’ouvrier installe lavabos, WC, etc. «Une tâche répétitive, ennuyeuse. Je suis alors devenu dépanneur, toujours pour la Cofal.» Un métier qu’il exercera une quarantaine d’années, jusqu’à la retraite. Parallèlement, l’homme s’implique dans la commission du personnel. Il proposera notamment, avec succès, l’octroi de 1% du salaire brut à la part d’employés frappés par le chômage technique lors des crises économiques des années 1980 et des années 1990. Une contribution de solidarité payée par les actifs. Vincenzo Sisto œuvre également au niveau politique. Il remplit entre autres la fonction de président de Rifondazione comunista à Renens, organisation qui a succédé au Parti communiste italien. Et confie non sans fierté avoir été l’importateur en Suisse de L’Unita, journal du parti communiste italien. Il se mobilise encore sur le plan culturel et sportif, en particulier au sein de l’équipe de football de la Colonie libre italienne dans son agglomération. «Il m’a manqué quelques centimètres pour devenir joueur professionnel», affirme le passionné de petite taille, qui sera en outre correspondant de l’Inca (Institut national confédéral d'assistance, créé en 1945 par le 1er congrès du syndicat italien CGIL d'après-guerre, dans le but d'assister les travailleurs italiens immigrés). 

L’avocat des saisonniers
«On m’appelait l’avocat des saisonniers. Je les aidais dans les démarches administratives», indique Vincenzo Sisto, tout en soulignant les terribles conditions de travail et de vie de cette catégorie de personnes, mais aussi des clandestins auxquels il tendait la main sans distinction. «Beaucoup d’entre eux dormaient dans des sous-sols, dans des caves. Payés au lance-pierre, les ouvriers au noir sur les chantiers demandaient souvent à ceux qui ne finissaient par leur sandwich de leur en faire cadeau.» Plein d’énergie, en marge de son activité professionnelle, l’activiste au grand cœur s’investit sans compter pour ses protégés. Il n’hésitera pas non plus, en dépit des risques encourus, à offrir un refuge à des militants étrangers en difficulté. «Je ne porte pas de jugement. Peu m’importe le statut, la nationalité, les papiers de ceux qui sollicitent de l’aide...» précise Vincenzo Sisto, touché par le sort des exilés, qu’ils fuient une guerre ou quittent leur pays pour des raisons économiques. «Les frontières n’ont été érigées que pour s’approprier de terres appartenant à tout le monde. Je suis pour leur abolition.»

Ni exclusion, ni racisme
Après six décennies de syndicalisme, Vincenzo Sisto reste sur le pont. S’il s’est retiré de la permanence de Rifondazione – «Trop de misère, j’ai saturé mentalement» – le conseiller communal communiste de Renens, naturalisé à la suite de son mariage, continue de défendre les intérêts des migrants. A travers Unia, et à travers d’autres collectifs. D’une nature entière, sociable et spontané – il n’a pas la langue dans sa poche – le militant rêve de changements de société en profondeur. «Il n’est plus supportable que les milliardaires continuent de s’enrichir et disposent de budgets plus élevés que les gouvernements.» Pour le Vaudois d’adoption, le combat doit s’orienter dans la lutte contre la pauvreté, soulignant qu’elle progresse en Suisse. Il se positionne par ailleurs en faveur d’une meilleure intégration des migrants au sein du syndicat, y compris de ceux sans travail et, plus généralement, d’un accueil élargi. «On se plaint d’une pénurie de main-d’œuvre et d’une démographie en baisse. Ouvrons nos bras aux enfants de clandestins! Laissons-les devenir des citoyens suisses. Favorisons leur construction dans ce sens», propose Vincenzo Sisto, qui promet de s’engager jusqu’à la mort. «Je n’ai rien d’autre à faire. Je poursuivrai la lutte pour défendre mes valeurs. Celles-ci s’opposent à toute forme d’exclusion et de racisme.»

Depuis 60 ans, Vincenzo Sisto conjugue son quotidien avec son besoin inné d’entraide et de partage. «Je ne peux pas vivre différemment», se justifie le jeune octogénaire d’origine italienne. Une vidéo de Thierry Porchet.

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