Une étude, à laquelle Unia a participé, montre que la pénurie de main-d’œuvre dans les soins de longue durée prend racine dans la manière dont le travail y est organisé
D’ici à 2040, le nombre des personnes âgées de plus de 65 ans va augmenter de 52% et celui des plus de 80 ans de 88%, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Cela nécessitera 54000 nouveaux lits en EMS, soit environ 900 homes supplémentaires, tandis que les bénéficiaires de soins à domicile augmenteront de 100000. En tout, 35000 postes seront à créer. Problème: d’après le moteur de recherche d'emploi X28, en novembre 2023, 15790 postes de soignants étaient déjà à pourvoir dans le secteur de la santé. Et 300 à 400 soignants quittent aujourd’hui la profession chaque mois. Les chiffres de l’OFS montrent qu’en 2022, le taux de rotation dans les soins de longue durée s’est élevé à 28%, c’est-à-dire que plus d’un quart du personnel s’est renouvelé en une année! Les EMS subissent une crise de main-d’œuvre, ils sont au bord de l’effondrement et ne pourront pas faire face au vieillissement de la population.
Soins à la chaîne
Dans une étude commune, la Haute école spécialisée de la Suisse italienne (SUPSI) et Unia se sont penchés sur les causes du problème. Provenant de toutes les régions du pays, 26 personnes travaillant dans les EMS, dont 22 femmes, ont été entendues lors de discussions en groupes. Ces échanges ont fait ressortir des conditions de travail difficiles. L’entrée en EMS se fait de plus en plus tard, du coup, les résidents présentent une forte concentration de problèmes physiques et cognitifs. En plus, pour contenir les coûts, les soins sont devenus de plus en plus rationnés, ce qui participe à l’épuisement psychique et physique des soignants. «Du point de vue des participants aux discussions de groupe, le financement des soins est insuffisant. Les systèmes de documentation et de mesure de la qualité des soins aggravent encore le problème. L’aspect social et le travail relationnel ne sont pas suffisamment reconnus comme une part essentielle des soins», a expliqué Nicolas Pons-Vignon, professeur à la SUPSI, au cours de la conférence de presse qui a présenté cette enquête.
«Notre métier est à vocation sociale et, en EMS ou aux soins à domicile, nous sommes parfois le dernier lien avec la société, si on n’entretient pas ces liens, ils s’étiolent et disparaissent», témoigne Nathalie Fischer. Active dans les soins à domicile, cette infirmière neuchâteloise, diplômée depuis 41 ans, a expliqué avoir vécu dix premières années de travail «idylliques». «Puis, on nous a fourgué un logiciel censé faciliter nos transmissions et donner le reflet de notre travail en temps réel... Résultat, nous utilisons l’outil pour valider et quantifier des soins, mais selon une nomenclature et une terminologie qui facilitera seulement le travail de comptabilité tout en nous chronométrant. Nous sommes tributaires d’une organisation qui nous ôte l’autonomie et nous rend serviles, comme incapables de réfléchir, évaluer, agir alors qu’il s’agit de la base de notre job.» La soignante évoque des effectifs «revus à la baisse, avec l’engrenage infernal de la surcharge de travail pour ceux qui restent face à l’absentéisme», des amplitudes horaires «défiant la physiologie du corps humain» et des piquets de nuit «qui vous plombent le sommeil».
Impliquer les soignants
Quelles sont les réponses qui peuvent être apportées à cette crise? Comment soulager les soignants? On songe immédiatement au recours massif au personnel migrant. «Même si les migrants jouent et continueront de jouer un rôle important, il est illusoire de penser qu’il s’agisse d’une solution à long terme», estime Nicolas Pons-Vignon. Il y a les politiques de fermeture des frontières que nous connaissons et, si elles offrent de meilleures conditions d’engagement et de travail que les soins de longue durée, d’autres branches peuvent attirer le personnel issu de la migration. Développer la formation n'est pas non plus une panacée, dans la mesure où «les néorecrutés quittent en masse le secteur». La solution pourrait-elle venir de la technologie, avec des robots comme au Japon? «Les robots n’ont pas permis d’économiser de la main-d’œuvre, car ils nécessitent beaucoup de maintenance», assure le chercheur.
Finalement, il apparaît indispensable d’améliorer les conditions de travail dans les soins de longue durée et d’impliquer les soignants dans l’organisation du travail. «Notre étude démontre que la crise des soins de longue durée a des racines profondes dans la manière dont le travail est organisé et évalué. Pour la résoudre, il sera crucial que la voix des salariés soit entendue dans les domaines suivants: le temps alloué au travail de care, la reconnaissance du travail et les stigmates qui lui sont attachés, ainsi que l’autonomie organisationnelle.»
La collaboration entre Unia et la SUPSI va se poursuivre. Toujours en s’appuyant sur la participation du personnel, un «Manifeste pour des soins de qualité» est en cours d’élaboration. Le syndicat va également mettre sur un pied un colloque cet été avec d’autres organisations.
Pour Unia, sécuriser les soins pour les personnes âgées doit être considéré comme une priorité politique et un large débat est nécessaire au sein de la société civile sur la répartition des coûts de la solidarité intergénérationnelle.