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En Afrique, les modérateurs des réseaux sociaux créent leur syndicat

La résistance s’organise contre l’exploitation de jeunes travailleurs sans ressources pour modérer des contenus violents et toxiques, destinés notamment au continent africain

Il y a les petites mains du textile, et maintenant les petites mains des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle. La logique est la même. Exporter et sous-traiter, à des conditions minimales, des travaux pour le compte de grandes entreprises. Dans le premier cas, les grandes chaînes du vêtement, dans le second les géants de la tech, comme Meta, maison mère de Facebook, Instagram et Whatsapp, ou TikTok. En Afrique, ces sociétés confient le contrôle des contenus des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle à d’autres entreprises qui sous-paient leurs employés et les soumettent à des conditions extrêmes, sans aide et sans soutien psychologiques.

Le quotidien de ces petites mains du numérique est le visionnage de vidéos violentes, de meurtres, de viols, d’abus sexuels et d’autres horreurs dans le but de les éliminer des réseaux. Une tâche effectuée souvent par des jeunes, sortis de la pauvreté en leur faisant miroiter un emploi, sans qu’ils soient au courant du labeur à effectuer. Les dangers pour leur santé mentale sont énormes.

Face à cette exploitation, la résistance s’organise. Le 1er Mai dernier à Nairobi, plus de 150 travailleuses et travailleurs de sous-traitants de Meta, TikTok et ChatGPT, œuvrant dans la capitale kenyane, ont créé le premier Syndicat des modérateurs de contenu d’Afrique. Une tentative de syndicalisation avait avorté en 2019. Cette année-là, un jeune modérateur de la société Sama, sous-traitante de Facebook établie à Nairobi, avait créé le syndicat Alliance avec une centaine de collègues. Ils avaient menacé de faire grève pour négocier des conditions de travail justes. Le mouvement a été brisé par le licenciement du jeune leader, le Sud-Africain Daniel Motaung, qui a dû quitter le Kenya.

Contenus extrêmement choquants

Comme il l’a expliqué à Radio France en février dernier, le travail de modération sur les réseaux sociaux est «incroyablement» difficile: «La première chose à comprendre est que lorsque vous gérez du contenu en ligne, généré par les utilisateurs, qui n’est absolument pas contrôlé et qui peut venir de n’importe où, vous vous rendez compte que vous avez affaire à des contenus extrêmement choquants. Et parfois, cela se passe en direct! Ces contenus sont si choquants qu’ils peuvent entraîner des symptômes de stress post-traumatique. Par exemple, la première vidéo que j’ai dû modérer était celle d’une décapitation. Vous imaginez! Puis après, il y avait le son à écouter… Et vous vous retrouvez à faire un travail qui potentiellement va vous faire souffrir toute votre vie.»

Actions en justice

Atteint aujourd’hui de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété due à son travail et à la négligence de son employeur, Daniel Motaung est toujours actif pour la défense de ses anciens collègues. Il est à l’initiative de plusieurs plaintes déposées contre Meta et Sama à Nairobi. L’une, au printemps 2022, les accusant d’exploitation, d’entrave syndicale et de vol de salaire, l’autre, en décembre 2022, sur les liens entre l’exploitation des producteurs de contenus et les dommages causés dans la vie réelle, notamment lors de la guerre en Ethiopie, explique le Réseau syndical international de solidarité et de luttes dans un communiqué.

Selon ce réseau, les actions en justice ont semé les germes de la création du nouveau syndicat. Mais elles ont aussi été la cause de représailles par Meta et ses sous-traitants qui ont annoncé, en début d’année, le licenciement des quelque 260 modérateurs de Facebook à Nairobi. Licenciement bloqué par la justice après le dépôt d’une autre plainte de 184 travailleurs estimant qu’il s’agissait d’une mesure d’intimidation et de casse syndicale.

«Les médias sociaux n'existent pas sans nous»

Présent à la séance de constitution du syndicat le 1er Mai, Daniel Motaung, cité par le Réseau syndical, a dit son enthousiasme: «Nous n’avons jamais été aussi nombreux. Notre cause est juste, notre voie est juste, et nous l’emporterons. Je ne pourrais pas être plus fier de la décision prise aujourd’hui d’enregistrer le Syndicat des modérateurs de contenu.» Un organisateur des travailleurs et modérateur de Facebook chez Sama, Kauna Malgwi, a également dit sa satisfaction: «Nous connaissons notre valeur. Les médias sociaux n'existent pas sans nous. En nous rassemblant aujourd'hui, nous ressentons quelque chose de puissant: l'espoir. Sama et Facebook pensaient pouvoir se débarrasser de nous parce que nous nous étions exprimés, mais ils n'ont fait que renforcer notre détermination à nous battre.» Un ancien modérateur de TikTok, James Oyange, a ajouté: «Les gens devraient savoir qu'il n'y a pas que Meta. Dans chaque entreprise de médias sociaux, il y a des travailleurs qui ont été brutalisés et exploités.»

Des modérateurs de l’intelligence artificielle (IA), dont la tâche est par exemple de nourrir les machines et de veiller à ce qu’elles ne travaillent pas avec des contenus violents, étaient au rendez-vous. Richard Mathenge, ancien modérateur de ChatGPT, a salué la création du syndicat. «Pendant trop longtemps, a-t-il souligné, nous, les travailleurs qui alimentent la révolution de l'IA, avons été traités comme des êtres différents et inférieurs. Notre travail est tout aussi important et dangereux. Nous avons franchi une étape historique aujourd'hui. Le chemin est long, mais nous sommes déterminés à nous battre pour que les gens ne soient pas abusés comme nous l'avons été.»

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