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«Faire paysan»

C’est certainement parce que j’ai grandi à la campagne et que j’ai eu le privilège de pratiquer le «métier de bovairon» entre 8 et 12 ans, mais c’est aussi certainement «parce qu’on est tous filles ou fils, petites-filles ou petits-fils, ou parents de paysans» que j’ai lu d’un trait le dernier livre de Blaise Hofmann avec une réelle émotion. L’auteur a rêvé que les paysans et les citadins se parlent, se comprennent, se soutiennent, construisent ensemble un monde meilleur, durable. Depuis la sortie, il y a bien longtemps du livre Le courage de la terre, de Louison Dutoit qui, à 80 ans, assistait à la victoire du veau d’or décimant notre société, je n'avais plus consacré assez de temps à comprendre l’évolution du monde agricole.

Nous avons tous été choqués par le nombre affolant des suicides paysans. Ils sont 40 fois plus nombreux que ceux qui arrivent dans le reste de la société. C’est un métier à risques puisque les accidents y sont trois fois plus fréquents que dans la moyenne suisse. La solitude d’un nombre important d’exploitants nous a été expliquée lorsque nous avons entendu que l’EERV avait nommé un aumônier pour leur venir en aide. La paysannerie n’a plus assez de défenseurs sous la Coupole. L’ancien PAI est depuis longtemps aux ordres d’un milliardaire. Comme les libéraux-radicaux, il a besoin que le pays respecte scrupuleusement les règles de l’OMC pour pouvoir exporter. Dès lors le prix du lait est passé de 1,07 franc en 1991 à environ 0,60 franc aujourd’hui. Dans ce bouquin, la réalité des payements directs n’est pas oubliée pour autant.

Le livre de Blaise Hofmann nous entraîne dans toutes sortes d’exploitations diverses. Elles essayent de se diversifier, d’être résilientes, d’inventer des collaborations modernes avec les consommateurs. Mais aussi avec des manières nouvelles de se soustraire à l’exploitation des grands distributeurs. Nous apprenons que, comme il en existe dans nos grandes banques protectrices d’importants millions d’argent sale, des fuites ont prouvé que Migros et Coop dégageaient des marges sur les produits laitiers de 57%, respectivement de 46 %. Ou de 67% sur une tomme vendue par Migros et 92% sur un yogourt de chez Coop.

De toujours, ceux qui ont conduit les luttes ouvrières ont cherché à unir ouvriers et paysans. Mais le conservatisme crasse d’un grand nombre d’agriculteurs a été largement exploité par la grande bourgeoisie. Le paysan se sent plus entrepreneur que travailleur acharné et mal payé. La première qualification le rend plus fier que la deuxième. De toute manière, pour que nous soyons le plus nombreux possible à accorder un profond respect à ces concitoyens et ces concitoyennes qui nous nourrissent, je vous invite tous à lire Faire paysan, de Blaise Hofmann, paru aux Editions Zoé.

Pierre Aguet, Vevey