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Syndicaliste d'Unia devant une banderole: "Paiement du salaire dès le 1er jour pour les temporaires."
© Olivier Vogelsang

Camila Aros, syndicaliste à Unia Genève, a dénoncé lors d’une conférence de presse la pratique illégale de journées de formation non payées pour le personnel temporaire de l’hôtellerie. Elle appelle toutes les personnes ayant subi cette situation à contacter le syndicat.

Unia a dénoncé une pratique répandue dans l’hôtellerie à Genève. Des agences temporaires s’engraissent sur le dos des travailleurs en ne leur payant pas des journées de formation. Des personnes concernées témoignent et le syndicat appelle les victimes à se manifester

Ce petit manège dure depuis au moins douze ans, d’après Camila Aros, secrétaire syndicale à Unia Genève, qui enquête depuis des semaines sur ce dossier. La manigance est conclue entre certaines agences de placement et des hôtels, pour la plupart très luxueux, et consiste à imposer des jours dits de formation ou d’observation aux travailleurs temporaires qui ne leur sont pas rémunérés. Selon les établissements, ce sont un, deux ou trois jours de travail gratuits. Fiche de salaire et feuille d’heures à l’appui, la syndicaliste montre par exemple que, sur une semaine de quatre jours, un seul est effectivement compté.

«Cela concerne principalement l’hôtellerie, notamment le personnel le plus précaire, à savoir des nettoyeurs, des femmes de chambre ou encore des plongeurs, précise-t-elle. Pourquoi? Parce que ce sont des travailleurs souvent migrants ou frontaliers, qui ne connaissent pas bien leurs droits ou ne maîtrisent pas bien le français et qui ont peu d’expérience dans la branche.»

D’ailleurs, si le scandale éclate aujourd’hui, ce n’est pas parce que des travailleurs se sont plaints. Au contraire, la plupart des victimes de ce système ne s’en rendent même pas compte. «Ce sont des anciens cadres d’agences de placement, écœurés, qui ont poussé la porte du syndicat pour dénoncer le système», informe Camila Aros.

Travail gratuit

Pour l’heure, Unia a pointé au moins six agences de placement et cinq hôtels, mais «il y en a sûrement d’autres», assure la syndicaliste, dénonçant une pratique qui est en totale infraction avec la Convention collective nationale de travail de l’hôtellerie-restauration (CCNT), mais aussi avec le salaire minimum cantonal.

Le schéma est le suivant: «Il y a deux scénarios possibles au moment des négociations entre les agences de placement et les hôtels. Soit c’est l’agence qui offre à l’hôtel ces jours de travail gratuits pour obtenir ou garder un contrat avec lui, avec ou sans sa complicité, soit c’est l’hôtel qui impose cette condition. Dans les deux cas, ce sont les temporaires qui trinquent.» Pour mieux comprendre le contexte, ces dernières années, le nombre d’agences de placement spécialisées dans le secteur hôtelier a explosé, et la concurrence avec. Elles se livrent donc une guerre sans merci pour obtenir les contrats avec les établissements hôteliers, non sans conséquence pour les principaux intéressés.

Une autre pratique, tout aussi controversée, a été décelée dans une agence de placement spécifique. «Elle demande aux temporaires de suivre une formation de cinq jours qui leur coûte 500 francs en leur assurant que, derrière, un emploi est à la clé et que l’argent sera vite rentabilisé, explique Camila Aros. En réalité, beaucoup se retrouvent sans emploi pendant des mois et avec une formation qui n’est pas reconnue par la CCNT.»

Contrôles en cours

Ces différents cas ont été dénoncés à l’Inspection paritaire des entreprises (IPE) et à l’Office cantonal de l’inspection et des relations de travail (OCIRT). «Des contrôles sont en cours», assure la syndicaliste, sans pouvoir en dire plus. Dans les colonnes de la Tribune de Genève, le directeur général de l’Inspection du travail confirme cette information, déclarant à notre consœur qu’il «n’y a pas de temps d’essai gratuit» et que «le travail doit être rémunéré dans tous les cas». Si les accusations sont avérées, ces agences de placement pourraient être visées par des sanctions, allant de l’amende au retrait de leur autorisation de location de services...

De son côté, le syndicat appelle les agences de placement et les hôteliers à stopper immédiatement ces pratiques et à rémunérer les travailleurs temporaires dès le premier jour de travail, comme le prévoit la loi. «Nous invitons par ailleurs toutes les personnes ayant été victimes de ce système à se rapprocher du syndicat, afin qu’on puisse les aider à récupérer leur dû.» Une campagne sera menée ces prochains jours auprès du personnel des hôtels genevois.

Témoignages

Travailleurs floués

Marine* «En juin 2017, je me suis inscrite dans une agence qui m’a demandé de payer 500 francs pour être formée sur cinq jours comme femme de chambre. Nous étions une vingtaine à la faire. Ils nous ont assuré qu’après ça, on trouverait un poste, mais nous avons été trois à décrocher un job seulement. Je suis restée en contact avec certaines des filles: malgré la formation, cinq mois plus tard, elles n’avaient toujours pas eu de mission. Dans l’hôtellerie, les travailleurs se font user, c’est un système qui se perpétue. Et ceux qui se plaignent ou qui font valoir leurs droits, comme moi, sont dans le viseur des supérieurs. J’ai fait une autre formation depuis, et je ne remettrai jamais les pieds dans un hôtel pour y travailler.»

Maria* «Je travaillais dans un grand hôtel de luxe genevois depuis plusieurs années via une agence de placement, mais celle-ci posait beaucoup de problèmes et a fait faillite, donc l’hôtel a changé de prestataire. La nouvelle agence nous a gardés, mais elle a exigé que nous fassions une formation de trois jours dans l’établissement, alors que nous connaissions le métier. Ces trois jours n’ont jamais été payés. J’ai beaucoup d’amies à qui cela est arrivé.»

Yusuf* «Je suis arrivé en Suisse en 2011. J’ai enchaîné de nombreuses missions en tant que plongeur à plusieurs endroits et, à chaque fois, les trois premiers jours n’étaient pas payés. Quand j’ai osé réclamer, on m’a répondu que tout m’avait été payé...»


 «J’ai quitté le métier, dégoûté par ces pratiques indignes»

François*, ancien cadre d’une agence de placement «J’ai travaillé une dizaine d’années au total dans deux agences de placement à Genève, dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, mais pas directement dans les métiers concernés par ces abus. J’étais donc aux premières loges mais pas partie prenante. J’ai vu les méthodes qui étaient pratiquées par mes collègues pour les femmes de chambre, les nettoyeurs, les portiers/bagagistes et les voituriers. Ils faisaient miroiter des emplois au bout des formations, ils offraient du personnel en formation aux hôtels partenaires pour s’assurer certains contrats ou écarter la concurrence. On parlait d’un, deux, voire trois jours non payés, et parfois non déclarés. Par exemple, quand arrivaient des périodes de salons à Palexpo, les managers des hôtels environnants venaient à l’agence en prévision de la forte affluence. Ils intégraient du personnel, le formaient, en faisant espérer un emploi fixe et, à la fin du salon, tout le monde était renvoyé. De la poudre aux yeux.

Toutes les agences ne fonctionnent pas comme cela, mais certaines sont prêtes à se montrer très agressives pour prendre le marché. C’est une concurrence que paient les travailleurs. Pour moi, le cœur de ce métier c’est l’humain, mais mes collègues m’ont dégoûté avec leurs pratiques odieuses et lamentables. Les intérimaires étaient pour eux de la chair à canon, corvéables à merci, qu’on prend et qu’on jette. Des gens fragiles dont ils usent et abusent.

Je suis persuadé qu’on peut faire de bons résultats en respectant les travailleurs, mais eux ne voyaient qu’à travers les chiffres et le business et les traitaient comme des moins que rien. J’ai quitté le métier, dégoûté par ces pratiques indignes, je ne me reconnaissais pas.

J’espère qu’on parviendra à mettre la lumière sur ces travailleurs que certaines agences dévalorisent et rabaissent. J’ai des valeurs, une conscience, et je ne conçois pas qu’on soit prêt à tout pour faire du chiffre. Voilà pourquoi j’ai dénoncé ce système.»

*Prénoms d’emprunt

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