Quatre plaignants indonésiens exigent réparation au cimentier suisse, jugé en partie responsable des inondations dont ils sont victimes. Ils lui demandent aussi de réduire massivement ses émissions de CO2
L’île de Pulau Pari, en Indonésie, tout près de Jakarta, boit la tasse. Le réchauffement climatique faisant monter le niveau de la mer, cette petite île où vivent 1200 personnes est souvent en proie aux inondations et a déjà perdu 19% de son territoire. Des catastrophes qui ravagent les habitations et mettent à mal les activités et les ressources, puisque Pulau Pari dépend principalement du tourisme et de la pêche. D’après les projections, si rien ne bouge, la quasi-totalité de l’île sera sous l’eau d’ici à 2050.
Ses habitants ne sont pas prêts à s’y résoudre. C’est pourquoi quatre d’entre eux ont engagé une action en justice en Suisse contre le cimentier Holcim pour sa contribution aux changements climatiques. Une action inédite, car elle émane d’un pays du Sud et se dirige contre une multinationale qui devra répondre juridiquement de son rôle dans le changement climatique, et pas un Etat. Soutenus par l’Entraide protestante suisse (EPER), le European Center for Constitutional and Human Rights et l’organisation indonésienne pour l’environnement WALHI, qui ont lancé la campagne Call for Climate Justice, les plaignants ont soumis une requête de conciliation à Zoug le 11 juillet dernier et convoqué la presse le lendemain.
Premier pollueur suisse
Pourquoi Holcim? «Aujourd’hui, l’industrie du ciment est responsable de près de 8% des émissions mondiales annuelles de CO2, soit trois fois plus que l’industrie aéronautique», souligne Yvan Maillard Ardenti, expert sur le climat pour l’EPER. En tant que premier producteur de ciment du monde, il fait peu de doutes qu’Holcim a largement contribué à la crise climatique. Selon une étude mandatée par l’EPER, entre 1950 et 2021, Holcim a produit plus de 7 milliards de tonnes de ciment, et avec, émis plus de 7 milliards de tonnes de CO2. «Cela représente 0,42% de l’ensemble des émissions industrielles mondiales de CO2 depuis 1750, soit plus du double de ce que la Suisse a émis pour la même période», commente l’expert. D’après lui, le lien est donc établi entre l’activité d’Holcim depuis plus de 70 ans et les dégâts environnementaux à Pulau Pari.
De son côté, Holcim dit prendre au sérieux le changement climatique et promet de tenir l’objectif d’une entreprise neutre en carbone en 2050. Trop lent, répondent les activistes, alors que près de 2 milliards de personnes dans le monde sont menacées par des inondations...
Stop aux émissions!
Que réclament les quatre plaignants à Holcim? Les revendications portent sur trois axes. Premièrement, une indemnisation pour les dommages déjà causés, ensuite, une contribution aux mesures pour prévenir les dommages futurs et, enfin, une demande de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Au total, la requête financière s’élève à environ 20000 francs. Une somme qui paraît peu élevée. «Les coûts réels sont environ 200 fois plus importants, explique Nina Burri, responsable entreprises et droits humains pour l’EPER. Les chiffres montrant que la contribution d’Holcim aux émissions de CO2 s’établit à 0,42%, les plaignants réclament 0,42% des coûts totaux.» Et de poursuivre: «La crise climatique menace grandement les droits humains. Il n’est pas acceptable que des personnes qui n’y ont presque pas contribué doivent en payer les frais. C’est une question de justice mondiale. Les personnes concernées empruntent aujourd’hui la voie juridique pour mettre cela en avant.» Placer Holcim face à ses responsabilités pour les dommages causés par le passé, mais aussi l’inviter à les assumer à l’avenir: une action à double approche qui fait qu’on la qualifie de révolutionnaire. Affaire à suivre…
Pour signer l’appel de soutien aux habitants de l’île de Pulau Pari et pour plus d’infos: https://callforclimatejustice.org/fr/