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Initiative anti-burqa: «raciste et sexiste»

Femme portant un voile intégral bleu.
© Olivier Vogelsang

Selon une étude lucernoise, le port du voile intégral serait un phénomène marginal en Suisse concernant moins d’une trentaine de personnes.

Le 7 mars prochain, le peuple suisse se prononcera sur l’initiative «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage». Interview d’une opposante au projet, Meriam Mastour, avocate-stagiaire et membre du collectif des Foulards violets

Déposé en 2017 par le comité d’Egerkingen (proche de l’UDC) – le même qui avait, en 2008, lancé l’initiative anti-minarets – le projet entend interdire la dissimulation du visage, surtout pour des motifs religieux. Cette interdiction s’appliquerait lors de manifestations, dans tous les lieux publics en Suisse, sauf dans les églises et les lieux de culte. Des exceptions pourraient être justifiées uniquement pour des raisons liées à la sécurité, à la santé, au climat ou aux coutumes locales (comme le carnaval). En opposition, le Conseil fédéral a lancé un contre-projet indirect qui prévoit l’obligation de montrer son visage au représentant d’une autorité quand il est nécessaire de vérifier son identité.

En 2013, le Tessin avait été le premier canton suisse à interdire, avec 65,3% de voix, la dissimulation du visage dans l’espace public. Visant principalement les personnes musulmanes qui portent le niqab (appelé souvent à tort burqa), ce projet législatif est qualifié d’islamophobe et de sexiste, notamment par les milieux de gauche et le syndicat Unia.

Meriam Mastour, avocate stagiaire, engagée au sein du collectif des Foulards violets et du groupe de travail antiraciste de la grève féministe, explique les raisons pour lesquelles les associations où elle milite s’opposent à cette démarche.


Quels sont vos arguments pour rejeter ce projet de loi?

En raison de son caractère profondément raciste et sexiste. Sexiste, car d’une part, on veut contrôler le corps des femmes et, de l’autre, on dénie leur capacité d’autodétermination. Raciste, car stigmatisant envers les musulmans de Suisse. Cette initiative est, en outre, un écran de fumée sur les problématiques sexistes qu’on vit en Suisse telles que la lutte contre les féminicides ou encore celles pour une redéfinition du viol dans le code pénal. Les féministes ont dressé une liste étoffée de revendications dans lesquelles il n’est inscrit nulle part le besoin de légiférer sur les vêtements que portent les femmes.

Vous avez récolté des témoignages de femmes ayant porté ou portant le niqab. Quelles étaient leurs principales raisons?

Pour commencer, on a eu beaucoup de peine à en trouver. Cela, malgré le fait que la majorité des membres du collectif des Foulards violets sont musulmanes. On a fait marcher nos réseaux et on en a finalement trouvé trois. Une étude menée à Lucerne montre d’ailleurs qu’il y aurait apparemment entre vingt et trente femmes qui portent le niqab en Suisse. Il s’agit donc d’un phénomène marginal. Les personnes recensées avec qui nous avons discuté – la plupart suisses et les autres européennes ou américaines – sont pour la majorité des converties. Les femmes interviewées ont précisé avoir ressenti, à un certain moment sur leur chemin spirituel, le besoin de porter le voile intégral. Elles ont insisté sur le fait que c’était une décision qu’elles avaient prise librement.

Si le port de la burqa ou du niqab ne concerne qu’une extrême minorité des femmes musulmanes en Suisse, comment expliquer qu’elles soient au centre du débat?

Les personnes qui souhaitent discriminer la population musulmane entrent par les petites portes. Ça a commencé par les minarets qui s’élevaient au nombre de cinq au moment des votations. C’est la même chose aujourd’hui avec cette initiative qui ne concerne qu’une toute petite minorité. Les débats sur les minarets et sur la burqa débordent systématiquement sur la question du foulard et de l’extrémisme. Il s’agit d’un prétexte pour, dans un avenir proche ou lointain, faire passer des lois qui attaqueront directement la liberté de croyance et de culte des musulmans.

On entend que le niqab pourrait être un obstacle à l’intégration…

C’est une posture raciste, car on considère alors systématiquement les personnes musulmanes comme des étrangères et non pas comme des citoyennes ou des habitantes. Par manque de connaissance, mais aussi à cause des médias. Lorsqu’on parle d’islam en Suisse, l’amalgame avec les étrangers est systématiquement fait. La population est perméable à cette vision.

Comment convaincre les partisans de la loi que porter un niqab n’est pas contraire à l’autodétermination?

Les femmes musulmanes sont capables de prendre elles-mêmes les décisions qui les concernent. Ne pas comprendre le choix d’une personne ne devrait pas pour autant le rendre invalide ou permettre de le réprimer. La majorité de la population suisse, jusqu’à récemment, n’arrivait pas à comprendre qu’on fasse le choix de se couvrir le visage. Aujourd’hui, nous sommes tous masqués dans nos interactions sociales. Cet exemple démontre bien que la vision qu’on a d’un vêtement ou d’une attitude dépend du contexte social, culturel et sanitaire dans lequel on évolue.

Certaines féministes ont pourtant annoncé qu’elles voteraient en faveur de cette loi…

Tous les collectifs de grèves féministes romands se sont opposés à cette initiative. Mais il reste effectivement des personnes qui y sont favorables. Je les invite à s’informer auprès des premières concernées qui défendent leur droit à la liberté de penser. Le féminisme des uns ne devrait pas empiéter sur celui des autres. Il faut accepter que des femmes puissent être différentes et faire des choix autres que les siens. Il existe aussi des personnes qui n’hésitent pas à instrumentaliser la cause féministe à des fins racistes.

Que pensez-vous du contre-projet du Conseil fédéral?

Les Foulards violets appellent à rester vigilants quant à son application. Demander à une personne de montrer son visage dans certaines circonstances, telles qu’un changement de passeport ou une identification dans les transports en commun, est tout à fait normal. Mais il faut être attentifs à ce qu’il n’y ait pas d’abus des forces de l’ordre et des contrôleurs. Avec, par exemple, le risque d’arrachages de foulards ou d’amendes disproportionnées.

Un faux problème avec de mauvaises solutions

«Cette initiative est sexiste, antiféministe, paternaliste et xénophobe», affirme Aude Spang, secrétaire nationale égalité à Unia et membre de la coordination nationale des collectifs pour la grève féministe. La syndicaliste rejette le préjugé qui assimile les femmes à des objets et non des sujets. Et s’indigne qu’on impose encore aujourd’hui aux femmes la manière de s’habiller. «L’UDC invente de faux problèmes avec de mauvaises solutions. Il faut arrêter de penser que les femmes ne peuvent pas penser par elles-mêmes. Si la droite se préoccupe vraiment de ces femmes, elle doit les écouter et prendre en compte ce qu’elles veulent vraiment plutôt que de jouer sur les peurs des gens en proposant des initiatives xénophobes. C’est une manière de se détourner des réels problèmes.»

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