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«Je suis heureux d’avoir fait de la CGAS un modèle»

Portrait de Claude Reymond.
© Thierry Porchet

Claude Reymond, l’infatigable secrétaire de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), passe le témoin. Interview

Claude Reymond prend une retraite bien méritée. Depuis 22 ans, il est l’infatigable secrétaire de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). Avant cela, ce typographe a animé plusieurs grèves à la Tribune de Genève durant la décennie 1980. Représentant le personnel, il fut même le sujet principal de l’une d’elles lorsqu’en 1983, la direction du quotidien le licencia. Après trois jours d’arrêt de travail de ses collègues et un passage devant un tribunal arbitral et les Prud’hommes, l’employeur fut forcé de le réintégrer. En 1991, le syndicaliste combatif prit la succession d’André Baudois au secrétariat de l’Union des syndicats du canton de Genève. Avec la Société des employés de commerce et l’Association des commis de Genève, celle-ci avait formé, en 1962, la CGAS, qui, après plusieurs réformes, prit en 1997 la forme qu’on lui connaît depuis: une faîtière réunissant l’ensemble des syndicats du bout du lac avec pour cheville ouvrière Claude Reymond. Alors qu’il passe aujourd’hui le témoin à un binôme constitué de Laure Faessler et Joël Varone, nous lui avons demandé de tirer un bilan de son action.


Quel a été l’essentiel de votre travail toutes ces années au sein de la CGAS?

La CGAS s’était à l’origine constituée pour intervenir sur le logement, l’aménagement et l’intégration de l’immigration auprès du Conseil d’Etat et de l’Union des associations patronales genevoises. J’ai soutenu le courant qui voulait en faire un véritable outil de combat syndical. Nous avons lancé des initiatives pour l’emploi et la formation, des interventions afin que les assurances sociales ne discriminent pas les travailleurs frontaliers, pris position dans plein de votations, fait des référendums... En 1995, c’est de là qu’est parti le référendum contre la Loi sur le travail qu’on a gagné en décembre 1996. On a fait des trucs fous…

Une partie de ma charge a aussi constitué à rappeler aux uns et aux autres qu’ils sont en devoir de se respecter. Dès mon engagement au service des ouvriers, je me suis abstenu de toute affiliation pour être en mesure de ne pas subordonner mes activités professionnelles à des intérêts de famille politique ou groupusculaire. Et, si j’ai eu parfois des difficultés avec des présidences qui voulaient capter les ressources du secrétariat, cela n’a jamais porté à conséquence…

De tout le travail accompli, de quoi êtes-vous le plus fier?

Ce dont je suis le plus heureux, c’est que depuis quelques années, on dit au sein de l’Union syndicale suisse (USS) que la CGAS est un modèle dans notre pays en tant qu’organisation plurielle, regroupant tout ce qui est syndical, avec une culture du débat. Je pense que j’y suis pour quelque chose.

Je suis fier aussi d’avoir pu un peu juguler l’impunité des tyrans avec la condamnation d’Erwin Sperisen*, c’est un dossier que la Commission internationale de la CGAS a porté durant neuf ans.

Quel est le meilleur souvenir que vous conserverez?

J’en ai beaucoup. L’un des plus beaux est d’avoir concrétisé la solidarité d’une région à la Boillat de Reconvilier, en grève en 2006.

Avez-vous des regrets?

Justement, en ce qui concerne la Boillat, pour moi, on aurait pu faire constater par un juge que l’entrepreneur nuisait à sa propriété et devait en être dessaisi. Je regrette de n’avoir pas réussi à convaincre Renzo Ambrosetti, le président d'Unia d’alors, de soutenir cette perspective.

Quand j’ai commencé dans la communauté syndicale, je bossais 8 heures en usine et 2 à 3 heures pour les syndicats. Ensuite, à la CGAS, je faisais jusqu’à 14 heures par jour – j’ai réduit à 11 ou 12 depuis quatre ans. Mes heures supplémentaires n’ont jamais été facturées. Bien que je n’aie été frappé par le chômage que pendant trois mois, l’AVS me dit que je n’ai pas assez cotisé pour toucher une rente complète, et le premier trimestre de ma LPP équivaut à mon dernier salaire. J’ai peut-être trop donné sans compter. Je suis trop fleur bleue.

J’ai été engagé expressément comme secrétaire administratif et non politique, car mon action syndicale était en porte-à-faux avec celle de plusieurs fédérations. Anarcho-syndicaliste jusqu’à 20 ans, léniniste jusqu’à 30, je suis devenu de tendance conseilliste, en faveur de l’autonomie ouvrière. Je ne suis pas pour faire des syndiqués des êtres obéissants, mais de véritables acteurs. Les travailleurs n’ont besoin que d’une discipline, celle qu’ils s’imposent par leurs luttes. Mais cette façon de faire gêne les cadres de nos organisations. On m’a dit que je devais obéir aux instances et j’ai toujours pris soin de les servir loyalement. Je préconisais cependant que le secrétariat s’appuie aussi sur une assemblée de militants pour réaliser les coups de poing de solidarité intersyndicale. Mais les camarades n’en ont pas voulu, ils craignaient sans doute qu’elle acquière une prépondérance transversale et organisationnelle, car la lutte décide de tout. Ça fait partie des choses que je regrette.

Avez-vous des projets pour votre retraite? Est-ce qu’on vous croisera encore aux manifs?

Je vais rester ici pour faire de l’intendance en tant qu’administrateur de l’Association des salles de réunions ouvrières et, évidemment, j’irai encore aux manifs.

Quelle est votre analyse sur la situation du mouvement syndical et comment voyez-vous l’avenir? Quels sont les défis à relever?

Il y a une modification de la division du travail, on est moins nombreux et il y a l’automatisation. Avant, pour produire, il fallait se causer et se voir. En tant que typo, puis relieur, j’ai occupé une place privilégiée pour constater le délitement des conditions de travail. Il est devenu bien plus difficile pour les syndicalistes d’organiser des moments collectifs de réflexion pour améliorer les conditions de travail, même si on bénéficie de nouveaux moyens de communication – on peut ainsi décider d’une grève en vingt minutes sur whatsapp.

Un des défis est de recoller avec les jeunes. J’ai essayé de susciter l’intérêt syndical pour la formation professionnelle, pour les formations paritaires. Mais celles-ci ne sont qu’en dernière année, c’est trop tard pour présenter aux apprentis le rôle des syndicats, et elles ne durent que 45 minutes.

Par ailleurs, j’avais proposé il y a vingt ans de développer les formations à l’Université ouvrière. Il est évident qu’un syndicaliste doit maîtriser certaines notions s’il veut, face à un patron qui raconte des salades, émettre des contestations et des contre-propositions. Mais le courant social-démocrate et trop de chefs n’ont pas voulu introduire la philosophie dans le programme des cours. A mon avis parce qu’ils ont renoncé à penser les organisations syndicales comme des instruments qui contribueront à précipiter la chute de l’exploitation en faveur d’un autre mode de production et de répartition des richesses. A la place, on résiste au jour le jour, on navigue à vue. L’USS a bien un programme sur quatre ans, mais il ne postule pas pour changer le monde.

La protection des représentants syndicaux vous tient à cœur et reste d’actualité. En 2017, vous aviez publié à l’attention de l’USS une «Déclaration sur l’honneur», dans laquelle vous vous engagiez à vous porter «en tout lieu pour participer aux actions de résistance syndicale» aux licenciements antisyndicaux…

C’est à la suite du licenciement de Maguy Bouget** que j’ai radicalisé ma position. Je suis pour un droit de véto des salariés sur la capacité de l’employeur à rompre le rapport de travail avec un représentant du personnel qu’ils ont élu. Point barre. Je n’ai pas reçu de réponse de la présidence de l’USS à ma déclaration sur l’honneur, qui devait susciter la création d’un groupe de combat ou d’interposition intersectoriel. Cela serait pourtant utile. L’horloger licencié dernièrement dans la vallée de Joux aurait été heureux qu’on débarque à 40 ou 60 pour occuper avec lui son poste de travail le temps qu’une solution soit trouvée. Moi, je suis disponible 24 heures sur 24, 365 jours par an, pour me porter sur un lieu où on aura décidé d’ériger une barricade ou de bouter le feu. Je suis persuadé de ne pas être l’exception, on doit être 50, 100 ou 200 en Suisse à disposer de cette aptitude. Il faut juste tenir l’inventaire de ce réseau, maintenir une communication minimale, lui permettre aussi de pouvoir remonter vers le centre pour solliciter des interventions. Il faudrait aussi établir une liste d’avocats et d’huissiers judiciaires dans chaque canton que l’on puisse mandater. J’ai une façon un peu militaire de voir les choses, mais je crois qu’il faut de l’organisation, même beaucoup d’organisation et de l’audace; ensuite, rien ne résiste.

*Ex-chef de la police guatémaltèque condamné par la justice genevoise pour l’assassinat de détenus.

**Animatrice socioculturelle à l’EMS du Léman, représentante du personnel et, par ailleurs, membre de la commission cantonale des EMS et présidente de Syna à Genève, licenciée en 2007.

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