«Ici, on peut vivre sans avoir peur de mourir»
Setayesh a 14 ans. Elle vient de Hérat, en Afghanistan. Elle est accompagnée de sa maman, Fatema, âgée de 38 ans. Dans son pays, cette dernière était coiffeuse. «Les talibans ont fait fermer tous les salons de coiffure et les instituts de beauté», raconte Fatema, en farsi, traduite par sa fille. «Nous n’avions plus le droit d’utiliser les produits cosmétiques, vernis à ongles et autres couleurs pour cheveux...» Setayesh, Fatema et son mari ont fui leur pays à cause de la guerre et des discriminations envers les femmes. Le périple a duré cinq ans, entre le départ et l’arrivée en Suisse, à Genève. «Nous sommes allés en Iran, puis en Turquie à pied. Nous avons tenté de rejoindre la Grèce en bateau, mais il y avait toujours la police. Nous sommes restés plusieurs semaines en Turquie dans la forêt, sans sanitaires et avec un repas par jour.» Setayesh se souvient qu’après quatre tentatives, sa famille finira par réussir à accoster en Grèce à bord d’un bateau de 9 mètres qui transportait 60 personnes. «Nous étions dans le camp de Mouria, se rappelle la jeune fille. A l’entrée il y avait écrit Bienvenue en enfer. Les conditions de vie étaient extrêmement rudes, c’était sale, il y avait des rats dans les tentes. Tout le monde était malade, mais il n’y avait aucun médecin. Il y avait des conflits entre les gens, nous avons vraiment eu peur. Ma mère, alors enceinte, a perdu son bébé dans ce camp.» Au terme de deux ans passés en Grèce, Fatema sera la première à rejoindre la Suisse, après avoir déboursé 8000 euros pour un «passeur». «Une seule personne pouvait y aller, nous avons dû nous séparer.»
L’arrivée en Suisse n’a pas été rose pour Fatema. «On m’a dit d’aller à Neuchâtel, mais je ne connaissais rien ni personne et j’étais incapable de lire. Personne ne m’a aidée. Je me souviens avoir pleuré toute la journée. Arrivée au centre , la nourriture était immonde; nous étions vingt personnes dans une chambre et ne pouvions sortir que de 10h à 17h. On pouvait travailler, faire du ménage ou de l’intendance: j’ai travaillé douze jours et j’ai reçu un seul cachet au lieu des douze promis.» Elle ira ensuite à Fribourg, pour terminer à Genève, d’abord dans un foyer, et maintenant dans un appartement. Setayesh et son papa ont rejoint Fatema un an après leur séparation, en 2022. L’adolescente pesait alors 32 kilos. «Maintenant je vais mieux. Evidemment que l’Afghanistan nous manque, c’est notre pays, mais nous refusons les règles imposées par les talibans. Ici, on peut vivre sans avoir peur de mourir. On est libres, on peut travailler, étudier, s’habiller comme on veut, faire du sport, sortir avec nos amis et parler avec des garçons!»
Les camarades de Setayesh sont un peu sonnés à l’issue de cette interview de plus d’une heure retraçant le parcours migratoire de cette famille, semé de tant d’embûches. «C’est touchant, c’est incroyable tout ce qu’ils ont vécu», réagit l’une d’elles. «On se sentirait incapables de faire ça nous», dit une autre. Ce qui a déclenché une forte réaction chez ces ados, c’est la différence de traitement entre les migrants dans les foyers d’accueil, ici en Suisse. «Pourquoi les Afghans ou les Iraniens ne sont pas traités comme les Ukrainiens, à qui on a facilité l’entrée sur le territoire et l’intégration?» La question restera sans réponse…