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Jouer des musiques du monde entier pour éloigner la douleur

Le biennois Yannick Jeanguenin défie sa maladie invalidante en composant et jouant des musiques ethniques

Ancien serrurier constructeur, membre d'Unia, le biennois Yannick Jeanguenin, 36 ans, souffre depuis sept ans d'une maladie très douloureuse qui l'empêche la plupart du temps de se tenir debout. Mais ce handicap n'a pas atteint son talent musical qu'il cultive depuis tout jeune. Il compose, mixe et joue des musiques issues de sa collection de quelque 200 instruments du monde entier. Et vient de sortir un album remarquable.

Chez lui à Bienne, Yannick Jeanguenin nous reçoit allongé sur son lit, adossé à un coussin, un appareil de massage électrique sous le genou. Un large et chaleureux sourire illumine son visage malgré la douleur lancinante qui le ronge et qu'il ne cesse de combattre à coups de morphine prescrite à haute dose. Au pied de son lit, un râtelier avec quatre guitares et un banjo. A portée de sa main, une flûte étrange à quatre trous: «Elle vient je crois de la tribu Lacota en Amérique du Nord où les hommes l'utilisaient pour faire la cour aux femmes. Il faut pas mal de souffle pour en jouer.» Le jeune musicien biennois en a. Il en tire une mélodie harmonieuse.
Cette flûte est l'un des joyaux de sa collection de quelque 200 instruments de musique populaire du monde entier qu'il a patiemment rassemblés. Il y a là des violons mongols, des balafons de l'Afrique de l'Ouest, des gongs du Japon mais aussi des instruments plus communs comme un accordéon, une clarinette et des harmonicas. «Je joue une vingtaine de ces instruments et pour les autres, je me contente d'en tirer quelques sons élémentaires.» Il est tombé amoureux de la world music, «mais la vraie, celle des tribus, des peuplades retirées». Sans pour autant tomber dans l'intégrisme ethnologique, comme le prouve son incroyable kora électrique réalisée par un Américain ou ce didjeridoo télescopique doté des dernières sophistications techniques.

Ses jambes se dérobent
«La musique me maintient en vie. Elle m'ouvre des horizons et me donne du courage.» Du courage, Yannick Jeanguenin en a bien besoin pour affronter quotidiennement la maladie qu'il endure depuis sept ans, avec son cortège de douleurs que seule la morphine prescrite à haute dose peut atténuer un tant soit peu. «J'ai mal aux deux jambes depuis le genou jusqu'à l'extrémité des doigts de pied et je suis incapable de rester debout plus de dix minutes sans tomber, un peu comme si cette partie du corps était gangrenée, privée de sang, de vie.» De quelle affection s'agit-il? «Personne ne le sait, c'est une maladie inconnue à ce jour. J'ai été examiné par des dizaines de médecins, on m'a fait de multiples scanners, des centaines d'analyses. Mais sans succès. Les spécialistes ont pu établir la présence de la maladie et ses symptômes mais ils n'en trouvent pas la cause. Je suis également allé voir plus d'une centaine de guérisseurs. Certains ont réussi à calmer un peu mes douleurs, mais jamais de façon durable. Et je suis parfois tombé sur des charlatans qui m'ont fait perdre beaucoup d'argent. Malgré tout, je conserve l'espoir. En cela, la musique m'a beaucoup aidé car j'avoue avoir eu parfois des idées noires, des envies de suicide.»
Les premiers signes de la douleur se sont manifestés en 1997. «Je pensais que c'était les séquelles de mon accident de skateboard quelques années auparavant. Je me suis accroché pour conserver mon emploi de serrurier constructeur à Bienne. J'ai serré les dents jusqu'au moment où je n'ai plus été capable de tenir plus de dix minutes debout. Mon patron m'a alors donné du travail de soudure que je pouvais faire assis.» Mais en 2000, tout s'écroule. Yannick Jeanguenin ne tient plus sur ses jambes, il reste littéralement cloué sur son lit. «J'étais fou d'avoir autant résisté.»

L'aide du syndicat
A ce coup du sort s'ajoutent encore les tracasseries administratives. L'assurance perte de gain refuse de le payer, au prétexte que sa maladie n'est pas identifiable. «Là, le syndicat FTMH (aujourd'hui Unia) m'a beaucoup aidé. Il m'a offert les services d'un avocat qui s'est occupé de ce dossier jusqu'au bout. L'assurance a fini par me régler tout ce qu'elle me devait lorsque l'AI a reconnu ma maladie, en 2002, après la découverte par les spécialistes de l'hôpital de l'Ile à Berne d'une malformation de mes hanches. Je faisais énormément de skateboard et de snowboard et ce défaut a favorisé l'apparition de l'arthrose.»
Le jeune musicien biennois à de quoi en vouloir à ceux qui voudraient réduire encore les prestations de l'AI et des services sociaux. «J'ai dû attendre environ deux ans avant que l'AI prenne une décision et l'assurance ne voulait donc rien payer. J'ai dû puiser dans mes économies avant de tomber à l'aide sociale pendant neuf mois. Elle me versait 1100 francs par mois, ce qui m'a obligé à emprunter de l'argent pour survivre. Et je sais qu'il y en a qui sont dans des situations encore pire que la mienne.»

Auteur compositeur
Accro de skate et snowboard, comme son frère Chany devenu skater professionnel aux Etats-Unis, le jeune biennois était un sportif confirmé doublé d'un amoureux de la nature, particulièrement des balades en forêt dans lesquelles, enfant, il construisait des cabanes dans les arbres. En parallèle, Yannick Jeanguenin a toujours baigné dans la musique. D'abord en écoutant Presley, Madonna, puis en découvrant «Depeche Mode» et la déferlante hip-hop. En 1988, il lâche le rap pour se rallier à la mouvance punk et commence son apprentissage de serrurier avec sa crête de coq. Il se lance ensuite dans la chanson et l'harmonica dans de nombreux petits «groupes de cave». Il s'initie à l'art du disc-jockey, aux secrets du mixage et son univers musical s'élargit, explose dans un brassage de tendances allant de la house à l'électro en passant par le jungle, l'afrobeat ou le funk notamment.
C'est après l'apparition de sa maladie que le jeune musicien se tourne progressivement vers la world music, «la vraie, celle jouée par des tribus aux quatre coins de la planète». Il acquiert un «home studio» et enregistre, en position assise de nombreuses compositions.
En parallèle, il écrit depuis quatre ans l'histoire de sa vie. «J'ai acheté un stylo spécial avec lequel on peut écrire couché. J'ai déjà rempli 520 pages et je n'en suis qu'en 2004.» Comme la musique, cet exercice l'aide à colorer une vie qui s'acharne à vouloir virer au gris.

Pierre Noverraz



Un CD et des envies...

Sous son nom d'artiste Widewings, Yannick Jeanguenin a sorti cette année son premier CD, Duwasongs, un remarquable mixage d'instruments de tous pays assorti à des paroles profondes. Il s'était déjà illustré il y a quelques années en sortant un 45 tours avec un groupe de la région et en signant des musiques pour des vidéos. Il est aujourd'hui prêt à faire partager ses expériences musicales et ses connaissances de divers instruments. Il souhaite aussi rencontrer des musiciens de manière informelle, pour des «jam». Et également à composer des musiques de films documentaires ou de fiction.

PN

Le CD est disponible chez les disquaires à Bienne ou chez Yannick Jeanguenin au tél. 032 534 76 26. Pour davantage de précisions et extraits en mp3, rendez-vous sur le site www.widewings.org.