Alors que notre système de formation duale est souvent cité en modèle, une enquête d’Unia révèle que les apprentis souffrent de stress et d’épuisement, entre autres
Avec le chocolat et les montres, c’est une des choses dont la Suisse aime se vanter. Notre système de formation professionnelle duale est souvent cité en modèle à l’étranger. Mais derrière cette façade, la réalité n’est pas toujours rose pour les apprentis, comme le révèle une enquête d’Unia publiée ce 4 juillet.
Après avoir questionné 1100 apprentis, le syndicat note que la plupart d’entre eux souffrent de stress et d’épuisement, et subissent toutes sortes de pressions. L’étude, menée par le Département politique d'Unia, également un taux élevé d'accidents professionnels, un épuisement émotionnel significatif chez les apprentis et apprenties, et un grand nombre de résiliations de contrats.
Une population très vulnérable
Si, globalement, 65,5 % des personnes interrogées sont satisfaites de leur formation, il en reste quand même un bon tiers qui ne l’est pas. Les principales raisons de cette insatisfaction sont les longues journées de travail, les discriminations et le manque de vacances.
Loin d’être une sinécure, l’apprentissage est une expérience stressante pour 92,4 % des participants à l’enquête. Plus de la moitié d’entre eux (53,2 %), disent être souvent voire toujours stressés. De plus, 95,4 % se sentent épuisés après le travail (dont 66,6 % souvent ou toujours). «Un niveau de stress et d'épuisement élevé augmente les risques de dépression et d'anxiété, ce qui peut mener à des symptômes de burnout, affectant la motivation et la productivité», relèvent les auteurs de l’enquête.
Sabine Jacot, docteure en sciences humaines et sociales, chargée d’enseignement à l'Université de Neuchâtel et adjointe scientifique à la Haute école de santé de Fribourg, a participé à la relecture de l’étude en tant qu’experte indépendante. Elle note que celle-ci s’inscrit dans le contexte plus large d’une augmentation du stress ressenti et d’épuisement dans le cadre du travail en Suisse. «Mais ce que tend à montrer l’enquête d’Unia, c’est que le pourcentage de personnes déclarant ressentir du stress au travail, la plupart du temps ou toujours, apparait plus important encore auprès des apprentis, une population particulièrement vulnérable.»
Racisme et discriminations
Par ailleurs, les apprentis signalent des cas de racisme, de harcèlement sexuel et de mobbing. En matière de harcèlement sexuel, 27,9 % des femmes en ont été victimes, contre 7,8 % des hommes. Le racisme touche 35,3 % des sondés, dont 12 % souvent. Enfin, 36,6 % ont déjà subi du mobbing, dont 14,9 % souvent. «Ces discriminations augmentent leur vulnérabilité et affectent négativement leur bien-être. Cela signifie que plus un apprenti vit des discriminations répétées et multiples, plus il risque d’être stressé au travail, épuisé en-dehors, et de voir sa santé se dégrader.»
Les journées à rallonge semblent également être le lot quotidien de bon nombre d’apprentis. «Notre enquête montre que 55,5 % des apprenties et apprentis travaillent plus de 9 heures par jour, en violation de la législation suisse sur le travail, souligne Félicia Fasel, secrétaire de la jeunesse chez Unia. Le stress chronique et l'épuisement physique liés à ces longues heures de travail entraînent des troubles du sommeil, des problèmes cardiovasculaires et une diminution générale de la qualité de vie.» Et la syndicaliste de s’interroger: «Doit-on vraiment être formé dans la douleur? Bien souvent, les apprenties et apprentis souffrent en silence. Un silence dont nous, les adultes, et le système que nous entretenons, sommes en partie responsables.»
Contrôles trop rares
Pour ne rien arranger, les contrôles semblent rares. Selon 54,9 % des personnes interrogées, leur entreprise n'a jamais été contrôlée par l'Office de la formation professionnelle. Seuls 10 % des apprentis disent qu’il y a eu plusieurs contrôles, et 13,4 % affirment que cela n’est arrivé qu’une seule fois. Les 21,7 % restant ne savent pas si des contrôles ont déjà eu lieu dans leur entreprise. Pour Unia, ce manque de surveillance dans nombre d'entreprises formatrices permet la perpétuation des abus et des mauvaises pratiques.
Côté salaires, ça n’est pas le Pérou. Près de la moitié des apprentis (46,3 %) gagnent entre 500 et 999 francs par mois, tandis que 39,2 % touchent entre 1000 et 1499 francs. Seule une petite minorité (9,3 %) gagne plus de 1500 francs, et 5,1 % reçoivent moins de 500 francs par mois.
En conclusion, Unia demande des mesures immédiates pour améliorer les conditions de formation et protéger la santé des jeunes professionnels. «Nous revendiquons le strict respect de la loi sur la formation professionnelle, des contrôles plus rigoureux des entreprises, des périodes de récupération adéquates pour les apprentis par la réduction de leurs temps de travail, que la voix des apprentis soit prise au sérieux et que leurs souffrances et difficultés ne soient plus mises de côté», énumère Félicia Fasel.
Unia lance également une campagne de sensibilisation sur les droits des apprentis, visant à leur fournir les ressources nécessaires pour se défendre efficacement. Le syndicat demande enfin leur intégration dans les conventions collectives de travail (CCT). «Trop souvent, ils et elles sont exclus sans discussion par les organisations patronales.»