Une passionnante étude universitaire illustre la force de la grève dans la cité des Montagnes neuchâteloises
Au Locle, dans la deuxième ville des Montagnes neuchâteloises, la grève générale de 1918 fut d’une ampleur considérable, plus intense que dans bien d’autres cités du pays. C’est ce que démontre une passionnante étude de Sébastien Abbet, La grève dans la ville*. Le coup de génie de l’auteur, c’est que son travail ne se limite pas aux journées de la grève générale de 1918 proprement dites, mais qu’il s’étend sur une période beaucoup plus longue, 1912-1919. D’où ce sous-titre qui donne une grande profondeur au mémoire: Une cité horlogère à travers guerre mondiale, conflits socio-politiques et restauration de l’ordre (Le Locle, 1912-1919).
2500 grévistes
Dans un rapport adressé aux instances syndicales, Edouard Spillmann, à l’époque secrétaire de la section locale de la Fédération des ouvriers de l’horlogerie et de la métallurgie (FOMH), évalue à 2500 le nombre de travailleuses et de travailleurs qui ont cessé le travail lors des journées de la grève générale de 1918. Ils provenaient de plus de 25 entreprises. Pour une petite ville qui comptait alors 13000 habitants, c’est un résultat époustouflant!
Des logements ouvriers…
Les conclusions que l’auteur tire de la grève de 1918 et de cette période en général peuvent être résumées comme suit: au début du 20e siècle, les socialistes loclois rompent avec les partis bourgeois. Cette rupture est limitée, mais cette attitude moins conciliante représente toutefois le pas décisif qui conduit les socialistes, en 1912, à gagner la majorité des électeurs avec un programme insistant sur la nécessité de construire des logements ouvriers.
Dans les mois qui suivent la grève générale de 1918, Sébastien Abbet est d’avis que «le mouvement ouvrier se montre conciliant alors que la droite locloise adopte une attitude intransigeante», ce qui témoigne d’un recul de la combativité.
Cette évolution se traduit aussi par l’absorption de cadres régionaux par l’appareil syndical national et/ou le législatif fédéral. Pour ne prendre qu’un exemple, Achille Grospierre, chef de file du syndicalisme et du socialisme loclois, devient ainsi permanent de la FOMH à Berne, en 1915, puis conseiller national en 1917.
… à la paix du travail
Les pratiques syndicales dans l’industrie horlogère reposaient depuis longtemps sur la recherche d’une harmonisation des relations entre ouvriers et patrons. Selon l’auteur, cette dynamique d’intégration sera encore renforcée dès le moment où les feux de la grève générale se seront éteints, l’attraction de mesures explicitement corporatistes prendra dès lors toute sa signification, avant de constituer, sans conteste, «un prologue aux accords de paix du travail de 1937».
Mais la grève générale de 1918 constitue avant tout le point culminant d’un ensemble de processus, décharge de tensions en même temps que redistribution relative des cartes.
Tout n’est pas joué
Malgré ses critiques, Sébastien Abbet fait preuve de synthèse, le mouvement ouvrier démontrant à cette occasion sa force, ses faiblesses et ses limites. Et même dans les Montagnes neuchâteloises, «tout n’est pas joué au sein du mouvement socialiste et syndical». Qu’il s’agisse des grèves de l’été 1919, de la grève de dix jours des employés de banque de La Chaux-de-Fonds ou du soutien apporté aux maçons en avril-mai 1920, lock-outés pour avoir refusé de travailler 55 heures par semaine, de nombreuses luttes indiquent que malgré les réticences, voire l’opposition de certains chefs syndicaux, le recours à la grève reste une arme décisive. Hier comme aujourd’hui.
*Sébastien Abbet, La grève dans la ville. Une cité horlogère à travers guerre mondiale, conflits socio-politiques et restauration de l'ordre (Le Locle, 1912-1919), Mémoire de maîtrise en histoire contemporaine, Université de Lausanne, 2020, 447 p.